Catalogne : Carles Puigdemont, le casse-tête de Madrid et Barcelone
FUITE•L’ancien président sécessionniste de la Catalogne a été arrêté jeudi, puis libéré vendredi en Italie, mais risque l’extradition vers l’Espagne dans un contexte où le dossier catalan s’était apaisé
Rachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Depuis peu, Madrid et Barcelone ont engagé un dialogue, après des années de conflit politique sur l’autodétermination de la Catalogne.
- La possible extradition de Carles Puigdemont apparaît comme un regain de tension qui pourrait faire capoter ces efforts d’apaisement.
- A Madrid, Pedro Sanchez a payé cher la grâce accordée aux indépendantistes emprisonnés. A Barcelone, Pere Aragonès fait face à la pression de ses partenaires indépendantistes plus radicaux.
Arrêté, puis libéré. Si Carles Puigdemont, l’ancien président de la Catalogne qui avait unilatéralement déclaré l’indépendance de la région en 2017, a été arrêté jeudi, il a depuis été libéré de prison ce vendredi en Italie (en Sardaigne). Toutefois, il reste toujours sous le coup d’une possible extradition vers l’Espagne. De quoi refaire flamber un dossier qui avait plutôt tendance à s’apaiser, ces derniers mois.
Certes, les indépendantistes gouvernent toujours la Catalogne mais des discussions avaient été engagées avec Madrid. 20 Minutes vous explique pourquoi ce possible retour en Espagne de Puigdemont tombe plutôt mal à la fois pour le gouvernement central et celui de Catalogne.
Quel est le contexte politique avant l’arrestation de Carles Puigdemont en Italie ?
Depuis le début de l’année, la tension est quelque peu retombée entre Madrid et Barcelone. Le gouvernement de Pedro Sanchez a fait un énorme pas vers le gouvernement catalan en offrant une grâce aux dirigeants indépendantistes condamnés pour avoir participé à la déclaration unilatérale d’indépendance de la Catalogne en octobre 2017. « C’est bien une grâce, pas une amnistie comme c’était réclamé par les indépendantistes. Le gouvernement socialiste a bien répété qu’il s’agissait d’une grâce, les condamnations ne sont pas annulées », rappelle à 20 Minutes Carole Viñals, enseignante-chercheuse à l’université de Lille.
La libération de ces neuf responsables, considérés comme des prisonniers politiques par le gouvernement catalan, était une sorte de condition sine qua non pour tenter de remettre tout le monde autour de la table. Dans le même temps, si les indépendantistes sont restés, et largement, majoritaires au parlement régional lors des élections du 14 février, c’est l’aile gauche et modérée (ERC) qui a pris le dessus sur celle de droite, plus jusqu’au-boutiste (JxCat).
Pere Aragonès, le nouveau président de la région, a, en dépit du refus de ses partenaires de JxCat, décidé d’accepter la main tendue de Madrid et de venir s’asseoir autour d’une « table de dialogue ». « Pedro Sanchez a bien manœuvré, car il a encore plus exposé les divisions des indépendantistes », pense Carole Viñals.
L’arrestation de Carles Puigdemont pouvait-elle remettre en cause ce processus ?
Pere Aragonès a apporté un soutien appuyé à Carles Puigedemont lors de son arrestation. Il a même annoncé qu’il allait se rendre en Sardaigne avant qu’il ne soit libéré, « mais il n’a pas indiqué qu’il quittait la table de dialogue », note Carole Viñals. Elle pense que ni lui ni le gouvernement de Madrid ne le souhaite, en tout cas aujourd’hui. Cela pourrait se corser si Carles Puigdemont est effectivement extradé et donc emprisonné en Espagne en attente d’un procès. L’actuel président de la Catalogne est en effet sous pression. Il a accepté seul la main tendue de Madrid et a pris un sacré risque.
Vendredi matin, JxCat et la CUP (un petit parti d’extrême gauche indépendantiste, indispensable au gouvernement catalan pour être majoritaire) ont à nouveau dénoncé le processus de dialogue engagé avec Madrid. Pour eux, l’arrestation de Carles Puigdemont « prouve que Pedro Sanchez n’a pas l’intention de négocier une solution politique au conflit » en Catalogne. Des manifestations ont été organisées, notamment par ces deux partis et la puissante association indépendantiste ANC. Aucun parlementaire actuel d’ERC n’y a participé. Néanmoins rien n’est moins sûr pour l’extradition de Carles Puigdemont.
Réfugié en Belgique depuis 2017, le leader catalan a déjà été arrêté une fois, en Allemagne, en 2018. Il avait finalement été relâché. Depuis 2019 et son élection comme député européen, il bénéficie d’une immunité parlementaire. Celle-ci a été levée en mars, l’appel de Puigdemont a été refusé, mais la procédure n’est pas totalement terminée. Les juges italiens auraient tout à fait la possibilité de relâcher le leader catalan sur la base de cet imbroglio.
Le retour de Carles Puigdemont en Espagne est-il une bonne chose pour Pedro Sanchez ?
Pas certain effectivement que Pedro Sanchez veuille d’une extradition tout de suite, même s’il s’est bien sûr félicité de l’arrestation et a appelé à un procès en Espagne. Quand il est arrivé à la tête du gouvernement espagnol, en 2018, il avait encore une position dure sur la question catalane. « En 2019 il a encore dit qu’il voulait que Carles Puigedemont réponde de ses actes en Espagne », se souvient Carole Viñals. Depuis, il a mis de l’eau dans son vin, notamment parce qu’il est contraint de gouverner avec le parti de gauche Podemos, favorable à un référendum en Catalogne.
Une grâce de Puigdemont paraît impossible « ne serait-ce que parce que pour le gracier, il faudra qu’il soit condamné et ça prendra du temps », juge l’enseignante-chercheuse. Et parce que la figure de l’ancien président catalan est la plus clivante d’un dossier extrêmement épidermique. Le premier ministre socialiste a déjà dépensé un capital politique considérable pour gracier les neuf indépendantistes emprisonnés. Il le paie encore : dans les sondages, il est à la traîne derrière le Parti populaire (droite) à la position radicale et intransigeante sur le dossier catalan. Voir les discutions avec le gouvernement de Barcelone s’arrêter juste après les avoir commencées rendrait plus qu’improbable un éventuel retour sur investissement politique pour Pedro Sanchez.
« Il pourra toujours se prévaloir d’avoir ramené Puigdemont en Espagne alors qu’il avait fui sous le gouvernement du PP », estime Carole Viñals. Et encore : le gouvernement espagnol est en pleine préparation de son budget pour 2022. Or, la coalition formée par les socialistes et Podemos ne détient pas la majorité absolue aux Cortes (l’Assemblée nationale locale). Elle aura besoin de l’appuie de divers partis régionalistes ou nationalistes. Sanchez comptait bien sur les voix des députés et députées d’ERC pour faire passer son budget. Ce soutien paraît aujourd’hui plus incertain, en tout cas suspendu à la suite des évènements en Sardaigne. Un échec sur le vote du budget ferait tomber le gouvernement de Pedro Sanchez.