Israël : Avec la possible chute de Nétanyahou, tout change pour que rien ne change
COALITION•Une coalition hétéroclite prétend avoir réuni assez de soutiens pour pouvoir former un gouvernement sans Benyamin Nétanyahou, mais sur le fond peu de choses devraient changerRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Le centriste Yaïr Lapid prétend avoir assez de soutiens à la Knesset, le parlement israélien, pour former un gouvernement d’alternance à Benyamin Nétanyahou, au pouvoir depuis douze ans.
- Cette coalition irait de la gauche à l’extrême droite et intégrerait, sans toutefois participer au gouvernement, des islamistes.
- Pourtant, peu de changements sont à attendre de cet éventuel nouveau gouvernement sur le sujet palestinien.
Une page est peut-être en train de se tourner en Israël : après plus de douze ans au poste de Premier ministre – un record – Benyamin Nétanyahou est menacé de perdre le pouvoir. Un front « anti-Nétanyahou » aurait, sur le papier, la majorité nécessaire pour la formation d’un nouveau gouvernement. C’est en tout cas ce qu’a affirmé mercredi soir Yaïr Lapid, le leader du parti centriste arrivé en deuxième position lors des quatrièmes élections législatives en deux ans, en mars dernier. Il a quelques jours pour former un gouvernement et le faire investir par la Knesset. Ce n’est pas gagné : le Premier ministre sortant a encore quelques cartes dans sa poche et des défections ne sont pas à exclure.
Vu de France, l’attelage réuni par Yaïr Lapid a tout du baroque : on y trouve les centristes, la gauche, mais aussi l’extrême-droite laïque et un parti arabe islamiste. Interrogé par 20 Minutes, Frédéric Encel, maître de conférences à Science po et auteur de L’Atlas géopolitique d’Israël (Autrement) rappelle que ce n’est pas forcément très nouveau : « Depuis la fin des années 1990, toutes les coalitions sont très hétéroclites. »
« Bibi » polarise la vie politique locale
Celle-là peut être plus que les autres « et même d’un point de vue israélien », pense la docteure en géopolitique Anne-Sophie Sebban-Bécache, directrice d’AJC Paris interrogée par 20 Minutes. Cette réunion tient à la grande lassitude des Israéliens et Israéliennes, qui veulent éviter un cinquième scrutin législatif en deux ans et demi. Et au petit dénominateur commun de tous ces partis : leur opposition à Benyamin Nétanyahou. Ça, c’est nouveau : « Il y a sans doute pour la première fois, une répulsion si forte vis-à-vis d’une personnalité en particulier que des forces politiques parviennent à s’entendre sur son éviction. »
L’actuel Premier ministre polarise la vie politique israélienne. Les élections législatives qui se sont succédé depuis 2019 ont toutes été des référendums pour ou contre « Bibi », qu’il n’a jamais vraiment gagné ni vraiment perdu. En attenant, Nétanyahou est toujours là et « l’agenda politique est dicté par son agenda judiciaire », remarque Anne-Sophie Sebban-Bécache. Le Premier ministre sortant – mais pas encore tout à fait sorti – est en effet mis en examen dans plusieurs grosses affaires de corruption. A tel point que si la coalition réussit à investir un gouvernement, « on pourra même considérer qu’il s’agit d’un gouvernement à vocation très civique, très démocratique », pense Frédéric Encel.
La question palestinienne mise sous le boisseau
Pour en arriver là, chacun et chacune a dû faire des concessions. Cette possible alternance devrait se faire au prix du statu quo sur le dossier palestinien. « Lapid et Bennet se sont mis d’accord pour faire en sorte que les sujets prioritaires du prochain gouvernement seraient les questions économiques », explique Anne-Sophie Sebban-Bécache. Il faut dire qu’il n’y a pas grand-chose de commun entre les positions du parti de gauche Meretz, favorable à une solution à deux Etats, et celles de Yamina, mené par Naftali Bennett, ancien bras droit et ministre de la Défense de Nétanyahou, partisan d’une ligne dure.
Cette mise sous le boisseau de la question palestinienne n’est pas le fait le moins surprenant. Il y a à peine un mois, le nouvel affrontement avec le Hamas à Gaza et, surtout, les émeutes d’arabes israéliens avaient remis sur le devant de la scène le sujet. Un sujet devenu, il est vrai, secondaire dans la vie politique de l’Etat hébreu depuis quelques années. Frédéric Encel n’est, lui, pas très étonné : « Beaucoup d’observateurs ne fonctionnent que dans l’émotion. En réalité, le dernier conflit ne change aucun des fondamentaux de la situation, et la communauté internationale est déjà passée à autre chose. »
L’administration Biden et les démocrates américains, dont les relations avec Benyamin Nétanyahou sont notoirement aigres-douces doivent regarder la formation de ce nouveau gouvernement avec attention. Anne-Sophie Sebban-Bécache, directrice d’une des principales organisations de juifs américaine, ne pense néanmoins pas que cela change « dramatiquement » la donne des relations américano-israélienne.
D’autant plus que Naftali Bennett, qui devrait prendre le poste de Premier ministre les deux premières années de la législature, a des positions assez similaires à celles d’un Nétanyahou sur les questions internationales. Tout change pour que rien ne change visiblement en Israël. Si une page finit bien par se tourner, ça sera plus une page en papier glacé, centrée sur « Bibi », qu’une page d’un livre de sciences politique.