Génocide au Rwanda : La France a fait « un grand pas, nous devons l’accepter », selon le président Paul Kagame
REACTION•Emmanuel Macron avait reconnu la responsabilité de la France dans le génocide au Rwanda, qui a fait plus de 800.000 victimes, essentiellement Tutsi, en 199420 Minutes avec AFP
Jeudi, en déplacement à Kigali, Emmanuel Macron a reconnu les « responsabilités » de la France dans le génocide au Rwanda, qui a fait au moins 800.000 morts, essentiellement dans la minorité tutsi. Mais elle n’a « pas été complice », a souligné le dirigeant français.
Les excuses ou la demande de pardon attendues par les survivants et familles de victimes n’ont pas eu lieu. Mais pour le président rwandais Paul Kagame, « c’est un grand pas, nous devons l’accepter ».
« Plus de valeur que des excuses »
Ancien chef de la rébellion tutsi qui a régulièrement accusé la France de complicité dans le génocide du printemps 1994, le président Kagame a salué, dans un entretien à l’AFP et France Inter, les paroles de son homologue qui ont « plus de valeur que des excuses ». Sur ce sujet « très complexe », « il n’y a pas de réponse entièrement satisfaisante, a-t-il expliqué. Mais c’est un grand pas. Nous devons le reconnaître, l’accepter et travailler vers d’autres étapes ».
« Quelqu’un peut venir et dire "je suis désolé, je m’excuse", il y aura toujours des gens pour dire "ce n’est pas assez". Et c’est leur droit (…) Je ne crois pas qu’il y ait de solution miracle, quelque chose qui viendra tout régler », estime-t-il.
Paul Kagame n’est pas « l’arbitre final »
« Est-ce que ça répond à toutes les questions que les gens se posent ? Je ne pense pas. Est-ce que les survivants ont le droit de contester ? Ils ont le droit ».
« Je n’ai jamais prétendu être le juge, l’arbitre final de ce qui doit être dit ou fait », affirme-t-il, mais « nous ne devons pas laisser l’acrimonie ou les malentendus autour de la vérité se poursuivre, nous devons être capables d’être sensibles aux sentiments et aux opinions des survivants directement, spécifiquement et aussi à l’avenir que chacun doit vivre ».
Au-delà de la visite et des mots du discours d’Emmanuel Macron, le dirigeant rwandais dit reconnaître la démarche qu’il a menée ces dernières années, avec notamment l’instauration d’une commission d’historiens, dirigée par Vincent Duclert.
« Responsabilités lourdes et accablantes » de la France, selon un rapport
Dans un rapport remis fin mars, celle-ci a conclu aux « responsabilités lourdes et accablantes » de la France et à l'« aveuglement » du président socialiste de l’époque François Mitterrand et de son entourage face à la dérive raciste et génocidaire du gouvernement hutu que soutenait alors Paris. Un rapport rwandais publié quelques semaines plus tard affirme que « l’Etat français porte une lourde responsabilité pour avoir rendu possible un génocide prévisible ».
Ces deux commissions ont « établi des faits » et « disent quasiment la même chose mais de manière différente », estime Paul Kagame. Le président rwandais place Emmanuel Macron devant son engagement, pris jeudi, à ce « qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper au travail des juges ».
Il ne demande pas d’extradition. « Si la justice est rendue en France contre ces gens, j’en serai heureux. Je n’ai pas à dire "ce ne sera justice que si vous me les donnez et que nous les jugeons devant nos tribunaux". La justice est la justice. »
Vers une meilleure relation entre le Rwanda et la France
« Je ne suis pas spécifique sur la forme, mais spécifique sur le fait que ces gens ont de graves crimes retenus contre eux, dont ils doivent être tenus pour responsables », affirme-t-il. Il se refuse toutefois à commenter la demande de non-lieu du parquet de Paris sur le massacre de Bisesero, où des associations accusent l’armée française de « complicité de génocide ». « Ce n’est pas à moi de décider », déclare-t-il.
L’étape de jeudi, aussi imparfaite soit-elle, pose les fondations d’une « relation meilleure et plus profonde entre le Rwanda et la France », selon le président. Certains détracteurs du régime estiment cependant que cette réconciliation se fait aux dépens des droits de l’homme, accusant la France de rester silencieuse sur les atteintes dénoncées par des activistes et des ONG (liberté de la presse bafouée, opposition muselée, morts en détention…).
« Je ne vois rien de mal, que l’on qualifierait de mal, qui se passe ici et qui ne se produit pas là d’où vous venez », rétorque-t-il aux journalistes français : « Quand ça se passe chez les autres, personne ne s’en mêle. Quand c’est ici, nos problèmes doivent être traités par l’extérieur, ou ils sont créés par l’extérieur ».