Coronavirus : « On ne peut toujours pas écarter l’hypothèse d’un accident de laboratoire »
INTERVIEW•Pour le virologue Étienne Decroly, plusieurs éléments penchent en faveur de l'hypothèse d'une fuite d’un laboratoire de Wuhan en ce qui concerne les origines du coronavirus
Propos recueillis par Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- L’Organisation mondiale de la Santé n’arrive pas à se mettre d’accord sur la probabilité d’une fuite du coronavirus d’un laboratoire de Wuhan.
- Une hypothèse décrite d’abord comme peu probable, avant que le dirigeant de l’organisation exhorte à ne pas l’écarter trop rapidement.
- Pour Etienne Drecroly, virologue au CNRS de Marseille, cette hypothèse est plausible pour plusieurs raisons.
Ce lundi, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a rendu un rapport sur les origines possibles du coronavirus, jugeant qu'une fuite d’un laboratoire est « extrêmement improbable », après une mission de quatre semaines en Chine réalisée conjointement avec les autorités du pays. Des auteurs du rapport notaient toutefois ne pas avoir eu toutes les latitudes pour travailler librement, en raison des réticences des autorités chinoises.
Dès mardi, le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus demandait de ne balayer aucune théorie, et demandait une enquête spécifique sur l'hypothèse d'une fuite d'un laboratoire en Chine. Pour le virologue Étienne Decroly, chercheur au CNRS, connaître l’origine du virus revêt une importance capitale.
Quelles sont les pistes qui laissent penser que le coronavirus proviendrait d’un laboratoire ?
Pour faire simple, l’hypothèse initiale est de dire que ce genre de maladie est une zoonose, c’est-à-dire qu’elle est transmise vers l’homme à partir d’espèces animales. Suivant cette hypothèse, des scientifiques ont récolté différents échantillons que ce soit dans la faune sauvage, dans les élevages, chez les animaux domestiques autour de la région de Wuhan et en Chine. C’est plus de 80.000 échantillons qui ont été récoltés chez les animaux et aucun n’a été positif au SARS-COV2. Cette première observation met déjà à mal l’hypothèse d’une zoonose.
On sait également que les virus connus les plus proches du SARS-COV2 sont présents dans des espèces de chauve-souris, qui ne sont pas du tout endémiques de Wuhan, mais sont plutôt originaires du Laos et du Cambodge, donc il y a un hiatus entre l’aire d’où aurait dû émerger ce virus et l’aire où il a émergé. Ce que l’on sait par contre, c’est que ces virus sont collectés pour être étudiés dans les laboratoires, notamment à Wuhan, on ne peut donc pas écarter l’hypothèse d’un accident de laboratoire.
Y a-t-il un enjeu politique ?
La commission conjointe avec des experts scientifiques de l’Organisation mondiale de la Santé et des experts chinois a déclaré que l’hypothèse d’un accident de laboratoire était très peu plausible… Mais peu après, le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a communiqué de manière antagoniste en déclarant que toutes les hypothèses étaient encore viables, notamment celle d’un accident de laboratoire.
Les Etats-Unis et quatorze pays alliés ont déclaré être préoccupés par ce rapport de l’OMS et ont signé une lettre demandant à l’organisation sanitaire d’être beaucoup plus proactive dans ses recherches pour trouver l’origine de cette pandémie, une position qu’a également rejointe l’Union européenne. C’est une nouveauté politique, les pays ne se sont pas toujours autant préoccupés de percer les origines du Covid-19, et c’est une bonne chose que cela arrive enfin. Il y a une nécessaire prise de conscience politique récente sur l’importance de comprendre d’où vient cette pandémie.
La Chine n’est pas très ouverte sur ces données, mais le travail de l’OMS doit consister à réexpliquer l’enjeu de connaître l’origine du virus et être suffisamment clair sur ses objectifs de façon à ce que tout le monde adhère à une bonne coopération. Si les difficultés politiques sont trop importantes et que la Chine se refuse à collaborer, cela invitera au moins à revoir les missions de l’OMS, en les définissant mieux et en définissant mieux sa capacité de dépêcher des experts dans les zones d’émergence des virus sensibles politiquement.
Connaître les origines du virus permettra-t-il de mieux le connaître ?
L’enjeu n’est pas d’avoir de meilleurs traitements contre le Covid-19, mais en connaissant son origine, on peut mettre en place des mécanismes de surveillance ou des contre-mesures pour éviter que cela se reproduise. Par exemple, on sait que la grippe aviaire peut se transmettre à l’homme, de fait il y a une surveillance des poulets et des canards dans les élevages, et en période d’épidémie grippale aviaire, des abattages sont mis en place, justement au nom de cette surveillance.
Si on comprend quelle a été la voie de transmission, on peut surveiller ces animaux s’il s’agit bien d’une zoonose, ou si la voie de transmission est passée par un laboratoire, on peut mieux surveiller les laboratoires ou changer certaines procédures. L’origine du coronavirus est donc importante, non pas pour gérer cette pandémie, mais pour en éviter d’autres.