PORTRAITQu’est-ce que DRASTIC, le collectif qui enquête sur l’origine du virus ?

Coronavirus : Qu'est-ce que « DRASTIC », le collectif indépendant qui enquête sur l’origine de l’épidémie ?

PORTRAITEstimant que le rapport de l'OMS n'a pas été fait en toute indépendance, ce collectif mène ses propres recherches sur l'origine de l'épidémie de coronavirus
Manon Aublanc

Manon Aublanc

L'essentiel

  • Les premières conclusions du rapport conjoint des experts de l’OMS et de Chine ont été publiées, ce lundi, quinze mois après l’apparition des premiers cas de Covid-19 fin décembre 2019 à Wuhan.
  • Le rapport privilégie l’hypothèse d’une transmission du virus à l’homme par l’intermédiaire d’un animal infecté par une chauve-souris et écarte la thèse d’une fuite d’un laboratoire chinois.
  • Pour « DRASTIC », un collectif d’experts pluridisciplinaires qui mène ses propres recherches sur les origines de l’épidémie, l’enquête manque d’indépendance et de transparence.

C’est l’un des rapports les plus attendus de l’histoire. Les premières conclusions de l’enquête conjointe menée par les experts de l'OMS et de la Chine sur les origines de l'épidémie de coronavirus privilégie l’hypothèse d’une transmission du virus à l’homme par l’intermédiaire d’un animal infecté par une chauve-souris et écarte la thèse d'une fuite d'un laboratoire chinois.

Quinze mois après l’apparition des premiers cas de Covid-19 fin décembre 2019 à Wuhan, beaucoup s’inquiètent du manque d'indépendance des experts et accusent l’OMS de complaisance à l’égard de la Chine. C’est le cas du collectif « DRASTIC », qui a lancé sa propre enquête indépendante sur l’origine de la pandémie. Qui sont-ils et pourquoi ne font-ils pas confiance aux conclusions de l’enquête de l’OMS ? 20 Minutes fait le point.

Le collectif « DRASTIC », qu’est-ce que c’est ?

«DRASTIC» – pour Decentralized Radical Autonomous Search Team Investigating Covid-19 (Équipe de recherche autonome radicale décentralisée enquêtant sur le Covid-19) – est un collectif pluridisciplinaire, composé d'une trentaine de personnes, notamment des chercheurs asiatiques, qui s'est constitué sur Twitter dès février 2020. « C’est un collectif de scientifiques, mais pas que, qui se sont associés pour enquêter sur les origines possibles de SARS-CoV-2 », explique à 20 Minutes Gilles Demaneuf, un data analyste néo-zélandais, membre du collectif.

Ce groupe multidisciplinaire inclut « des biologistes, des spécialistes en génétique, des ingénieurs avec des connaissances de la construction et maintenance de laboratoires, des spécialistes des données, des profils d’analystes, des spécialistes de l’open data, des spécialistes de la culture chinoise », poursuit l’ingénieur, qui ajoute que chaque profil est le bienvenu « tant qu’il contribue ». Par ailleurs, certains membres choisissent de garder l’anonymat sur Twitter pour se protéger d’éventuelles représailles.

Pourquoi a-t-il été créé ?

Début 2020, c’est l’internaute Billy Bostinkson (un pseudonyme) qui pose les bases du collectif sur Twitter. « Chacun s’est retrouvé d’une manière ou d’une autre en contact avec DRASTIC au cours de ses recherches personnelles, soit après avoir lu des articles de recherches de certains membres, soit par l’entremise des médias sociaux », détaille Gilles Demaneuf. « Notre but, c’est de trouver l’origine du virus, de comprendre où, comment et pourquoi l’épidémie a démarré. On veut trouver des faits, des preuves, et non pas des sophismes », ajoute Rodolphe de Maistre, directeur de projet dans une entreprise d’ingénierie et membre du collectif.

Et si le groupe s’est emparé du sujet, c’est aussi parce que ses membres estiment que la thèse d’une fuite accidentelle d’un virus modifié au Wuhan Institute of Virology, réfutée par les autorités chinoises et écartée par le rapport conjoint de l’OMS et de la Chine, est pourtant l’explication « la plus plausible », avance André Goffinet, professeur à l’Institut de Neuroscience de Louvain, en Belgique, membre du collectif. En effet, en février 2020, la revue Nature a révélé qu’en 2012, une forme de pneumonie sévère avait déjà tué six mineurs au sud-ouest de la Chine. Les hommes étaient chargés de nettoyer une mine de cuivre désaffectée, peuplée de plusieurs colonies de chauves-souris. Après le drame, Shi Zhengli, célèbre virologue d’un laboratoire de Wuhan, effectue des prélèvements dans la mine et découvre, en 2013, le RaTG13. En février 2020, la scientifique avait alors affirmé avoir trouvé dans ses échantillons un virus qui serait proche à plus de 96 % du SARS-CoV-2.

D’où les interrogations de nombreux scientifiques dans le monde. « L’OMS n’enquête tout simplement pas sur une origine autre qu’une zoonose (des maladies ou infections qui se transmettent des animaux à l’homme et inversement) naturelle », déplore Gilles Demaneuf. ​

Que pensent-ils du rapport conjoint de l’OMS et de la Chine ?

S’il ne résout pas le mystère des origines du SARS-CoV-2, le rapport, dont l’AFP a obtenu ce lundi une copie, estime la transmission à l’homme du virus par un animal intermédiaire « probable à très probable », mais écarte le scénario d’un incident de laboratoire, le jugeant « extrêmement improbable ». Pour les membres du collectif DRASTIC, l’enquête n’a pas été faite en toute transparence, la Chine ayant d'abord validé les experts de l'OMS : « L’OMS a suggéré 17 membres internationaux qui ont été validés par la Chine », détaille Gilles Demaneuf. Rodolphe de Maistre va même plus loin, avançant qu’il ne s’agissait pas d’une enquête de l’OMS, mais simplement des conclusions des experts locaux : « Les experts de l’OMS se sont rendus en Chine. Mais ils ont simplement rencontré les scientifiques chinois qui leur ont donné leurs conclusions. »

Pour certains, c’est le sujet même de l’enquête qui est biaisé. « L’ordre du jour de la mission Chine-OMS a été dicté, ou en tout cas soumis, à l’approbation de la Chine. Le rapport a reçu explicitement la mission de comprendre comment le virus a pu passer de la chauve-souris à l’humain. Ils ont exclu d’envisager l’hypothèse d’un accident de laboratoire en prétextant que c’est trop peu probable, ce qui est faux », regrette André Goffinet. « Si l’OMS avait voulu enquêter vraiment sur une possibilité d’accident, elle aurait formé une équipe bien différente avec des experts des risques de laboratoires. C’est ce qu’elle avait fait par exemple pour les accidents de laboratoire SARS à Singapour et puis Taïwan en 2003 », ajoute Gilles Demaneuf.

Dans une première réaction à ce document, ce lundi, le patron de l’OMS a estimé que toutes les hypothèses avancées dans le rapport méritaient d’être étudiées plus avant. Le rapport doit être rendu public ce mardi.