Coronavirus : Que se passe-t-il au Portugal, pays le plus touché au monde ?
EPIDEMIE•Le Portugal est devenu le pays avec le plus de décès liés au coronavirus rapporté à sa population
Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Plus de 11.000 personnes sont décédées du coronavirus au Portugal, ce qui en fait le pays le plus endeuillé au monde, si on rapporte le nombre de morts à la population.
- Après avoir subi une seconde vague difficilement gérée, le Portugal s’embourbe dans une flambée épidémique particulièrement sévère depuis la fin décembre.
- Comment le pays en est-il arrivé là ?
Le Portugal a franchi le seuil des 11.000 morts liés au coronavirus. Ce seul jeudi, le pays a enregistré 303 morts en vingt-quatre heures. Un chiffre important pour une nation qui compte seulement dix millions d’habitants. C’est comme si la France comptait plus de 2.000 morts en une seule journée. Or, même au plus haut de la première vague, jamais le pays n’a recensé plus de 1.500 décès en vingt-quatre heures.
Reconfiné depuis le 15 janvier, le Portugal continue à voir une flambée de nouveaux cas – le temps que le confinement fasse effet. La nation comptait ainsi 16.432 nouveaux cas ce jeudi. Néanmoins, l’arrêt du pays commence à montrer ses effets, le R (taux de reproduction du virus) étant passé de plus de 1,2 à 1,1. Mais que s’est-il passé pour en arriver à une situation aussi catastrophique ?
Lieux supercontaminants ouverts
Le pays est accusé d’avoir trop relâché les règles sanitaires après une deuxième vague qu’il avait déjà eue toutes les peines du monde à endiguer. Ainsi, le couvre-feu au Portugal ne s’appliquait que de 23 heures à 5 heures du matin (et il fut encore assoupli à Noël de 2 heures à 5 heures du matin), le nombre de personnes par foyer n’était pas limité lors des fêtes, et surtout, restaurants et bars étaient ouverts. « On voit une fois encore que ces endroits sont des espaces supercontaminants, comme tous les lieux clos sans masque, et qu’il faut au maximum les laisser fermer », note Michaël Rochoy, médecin et chercheur en épidémiologie.
De quoi d’ailleurs noter la bonne décision française : « On peut critiquer les choix sanitaires du gouvernement sur bien des points, mais depuis la fermeture des restaurants et des bars pour le second confinement, il s’y est toujours tenu et a eu raison. » Sans parler du message renvoyé par le Portugal. Le chercheur regrette : « Quand on ouvre tout, qu’on donne un air de "vie d’avant", comment voulez vous rendre audible un discours appelant à faire attention ou à limiter ses déplacements ? »
Noël, le mauvais accusé
Une hypothèse souvent avancée pour comprendre la situation au Portugal est l’effet de Noël et du Nouvel an, avec un possible relâchement dans les familles lors de ces journées. Mais pour Antoine Flahault, professeur de santé publique à l’université de Genève et directeur de l’Institut de santé globale, la théorie ne se reflète pas dans les courbes. Il note « un effet visible d’accélération du virus bien avant, dès le 19 décembre, le virus commence à remonter. Si la situation actuelle n’était due qu’à Noël et au Nouvel an, elle ne serait visible que depuis la mi-janvier environ, or la situation se dégradait déjà plusieurs semaines avant cette date. »
Alors qu’a-t-il bien pu se passer à partir du 19 décembre ? Selon Antoine Flahault, une partie des explications viendrait plus des vacances de fin d’année au global que du jour précis des fêtes en particulier. Il note que de nombreuses régions du sud, comme l’Espagne mais aussi le sud de la France, sont massivement touchées depuis ces fêtes de fin d’année.
Vague touristique et vague épidémique
Et si le Portugal et plus globalement le sud de l’Europe avaient connu une vague touristique très importante, notamment due à la fermeture des stations de ski cet hiver ? « Il est tout à fait possible que de nombreux touristes se soient reportés vers des destinations chaudes à défaut de pouvoir skier, sans compter le retour au pays classique de la diaspora portugaise européenne », note Antoine Flahault.
D’autant plus que le Portugal ou l’Espagne avaient restaurants, bars, théâtres ouverts, des arguments touristiques majeurs pour la plupart des Européens en manque de la vie d’avant. « On voit le double effet pervers de ce genre d’ouverture, non seulement ce sont des lieux supercontaminants, mais ils augmentent d’autant plus la circulation virale qu’ils attirent du monde », constate Michaël Rochoy. Tout cet afflux touristique, surtout venant de pays avec un fort taux de contamination, n’aurait fait qu’empirer la situation.
Le variant, le coupable facile ?
Reste enfin le dernier point, les variants. Les autorités médicales portugaises estiment que le variant britannique représente 30 % des contaminations et pourrait atteindre 60 % d’ici quelques semaines. Ce variant est considéré par plusieurs études comme étant plus contagieux que la version normale du Sars-cov-2. L’Espagne voisine connaît également une flambée des cas et du variant britannique, tout comme évidemment le Royaume-Uni.
Mais pour Michaël Rochoy, ces trois pays présentent une autre caractéristique moins aléatoire, à savoir que restaurants, bars et pubs ont été rouverts après la seconde vague : « Le virus peut-être le plus contaminant possible, si les gens ne se côtoient pas, il ne contaminera personne. Les gouvernements ayant eu des attitudes sanitaires irresponsables se cachent trop derrière les variants pour expliquer des flambées épidémiques ». Dans ce nouveau confinement portugais, bar et restaurants sont évidemment fermés. Reste à voir s’ils rouvriront directement lors de l’assouplissement des mesures.