POKERUn impeachment de Trump est-il une bonne affaire pour les démocrates ?

Destitution de Donald Trump : Est-ce vraiment une bonne affaire pour les démocrates ?

POKERLa procédure qui vise à destituer le président a peu de chances d’aller à terme et risque de victimiser encore plus Donald Trump
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Le Parti démocrate a lancé une nouvelle procédure de destitution contre Donald Trump à un peu plus d’une semaine de la fin de son mandat.
  • Les démocrates voient plusieurs avantages et quelques bonnes raisons à cette procédure, même si elle n’aboutit pas.
  • Mais pour l’historien interrogé par 20 Minutes, cette procédure risque de faire passer à nouveau Donald Trump pour un martyr.

Voici un nouveau précédent pour le mandat présidentiel de Donald Trump : il est devenu mercredi le premier président de l’histoire des Etats-Unis à être « impeached » deux fois par la Chambre des représentants. La chambre basse du Congrès, majoritairement démocrate, a voté la mise en accusation du président sortant une semaine tout juste après la prise du Capitole par des manifestants et manifestantes pro-Trump.

Le dossier d’instruction, car il s’agit d’un procès, va désormais partir au Sénat et c’est la chambre haute qui doit statuer sur la destitution ou non de Donald Trump. Sauf que la procédure va prendre des semaines alors que Trump doit quitter la Maison-Blanche mercredi 20 janvier. Alors, à quoi jouent les démocrates ?

Quels bénéfices pour les démocrates ?

Certes, le vote à la Chambre des représentants sur l’impeachment a été facilement acquis. Les démocrates y sont majoritaires, une dizaine de républicains ont même brisé les rangs de leur parti pour l’occasion. Au Sénat, ça sera une autre paire de manches. Sans parler de la durée de la procédure (probablement des semaines) il faut, en plus des 50 sénateurs et sénatrices démocrates, le vote favorable de 16 républicains et républicaines. Pourtant, le parti démocrate voit deux avantages à cette nouvelle procédure : à court terme et à long terme.

A court terme, les démocrates jouent « un coup de poker face à un président Trump qui ne marche qu’au rapport de force », estime Romain Huret, historien et directeur de recherche à l’EHESS, interrogé par 20 Minutes. « Les démocrates ne veulent pas banaliser les évènements du Capitole. Et puis ils veulent garantir que la période de transition présidentielle ira bien à son terme. » Dans un contexte particulier où on a longtemps pensé que Donald Trump pouvait ne pas laisser le pouvoir pacifiquement le 20 janvier, ce n’est peut-être pas du luxe.

A plus long terme, les démocrates visent 2024 et (déjà) la prochaine présidentielle. « Ils veulent faire en sorte que cette procédure, qu’elle aille à son terme ou non, mette Donald Trump hors jeu », explique Romain Huret. Depuis la défaite du 3 novembre dernier, les pronostics vont bon train concernant une nouvelle candidature du 45e président des Etats-Unis dans quatre ans. Légalement, rien ne l’en empêche. Plus dur avec l’initiative des démocrates, l’historien André Kaspi, interrogé sur France Info, juge qu’il y a une recherche « d’humiliation » de Donald Trump : « 2024, c’est quand même un peu loin. »

L’establishment démocrate est-il sous la pression de l’aile gauche ?

Les grandes voix de l’aile gauche du Parti démocrate, comme Ilhan Omar (représentante du Wisconsin) ou, bien sûr, Alexandria Ocasio-Cortez (représentante de New York) ont rapidement pris la parole après l’émeute du Capitole pour demander le lancement d’une procédure d’impeachement contre Donald Trump. Omar avait même tweeté qu’elle était, le soir même, déjà en train de rédiger un acte d’accusation. L’establishment démocrate, plus centriste, a aussi pris position pour cette procédure : Chuck Schumer, le leader des démocrates au Sénat, mais aussi Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants qui, a ce poste, avait déjà mené la première procédure, il y a un peu plus d’un an.

Mais Romain Huret ne croit pas que ces prises de position aient été dictées sous la pression d’une aile gauche plus remuante. « La manifestation du Capitole représente un vrai choc. Beaucoup de démocrates n’ont pas compris qu’un président puisse refuser de reconnaître sa défaite, d’abord, et ensuite puisse inviter ses partisans à « marcher sur le Capitole ». C’est la transgression ultime après quatre années à subir un président qui passe son temps à jouer avec le feu. Je pense que les démocrates sont sincères dans leur volonté de destituer Donald Trump. » Notons que pas un député ni une députée démocrate n’a brisé les rangs de son parti mercredi soir.

Joe Biden peut-il se faire voler la vedette ?

Joe Biden ne s’est pas directement exprimé sur la question de l’impeachment, « séparation des pouvoirs oblige, précise Romain Huret. Mais d’après l’historien, il fait peu de doute que l’ancien vice-président de Barack Obama est sur la même ligne que les démocrates du Congrès : « Il a eu des mots très forts le soir de la manifestation, parlant d’insurrection. Lui aussi trouve l’attitude de Donald Trump insupportable. »

Le président élu doit devenir le 46e président des Etats-Unis vendredi 20 janvier, à midi, heure de Washington. Dans une ambiance délétère et surtout saturée par Trump et le trumpisme qui font plus que jamais la une des médias. En partie à cause de la procédure d’impeachment, dont certains et certaines craignent qu’elle ne pique de l’espace médiatique au nouveau président. Et bien au-delà : « Il s’agit d’un pays qui traverse l’une des plus graves crises économiques et sanitaires de son histoire, constate Romain Huret. Un pays dans un état catastrophique où on devrait parler de masques, de vaccins, de reprise, de régulation de l’économie, des sujets autrement plus intéressants. Et on risque de reparler de Trump encore longtemps. »

« Avouez franchement, déplorait André Kaspi sur France Info, que c’est particulièrement gênant pour le nouveau président s’il n’arrive pas en somme à l’emporter sur le plan de l’actualité, sur l’ancien président. Ça voudrait dire qu’au fond, il ne parvient pas à s’imposer. »

Mais le vrai piège est moins la question de l’attention médiatique que le risque d’une nouvelle martyrisation de Donald Trump auprès de sa base. « La procédure d’impeachment renforce l’idée que Trump a raison car on l’empêche de parler, prévient Romain Huret. Et c’est un vrai problème des démocrates qui risquent à nouveau de le victimiser, et donc préparer le terrain, pour lui ou un autre, pour dans deux ans ou quatre ans. »