Coronavirus : « L’Espagne paye ses politiques d’austérité en matière de santé », estime le chercheur Philippe Moreau Defarges
INTERVIEW•Alors que l’Espagne subit une deuxième vague de coronavirus, Philippe Moreau Defarges, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), y voit la conséquence d’un pays économiquement essoréPropos recueillis par Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- 500.000 cas de coronavirus, 8.000 nouveaux cas quotidiens et 237 nouveaux morts en seulement une semaine : la seconde vague frappe à la porte de l’Espagne.
- Pour Philippe Moreau Defarges, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), les difficultés du pays à faire face à la crise sanitaire s’expliquent notamment par des raisons économiques.
- L’Espagne subirait le coronavirus d’autant plus violemment que son système sanitaire serait friable.
Mais que se passe-t-il donc en Espagne ? Déjà fortement touché lors de la première vague de coronavirus qui avait déferlé sur l’Europe à partir de février-mars, le pays ibérique semble subir de plein fouet une seconde vague. Lundi, l’Espagne a passé la triste barre des 500.000 contaminations. A ce chiffre peu optimiste s’en rajoutent d’autres tout aussi inquiétants : 8.000 cas diagnostiqués par jour, 237 décès recensés en une semaine et un taux d’incidence du virus – 106 cas pour 100.000 habitants lors de la semaine écoulée – deux fois plus élevé que celui de la France.
Pour Philippe Moreau Defarges, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), les causes de cette difficulté à combattre la crise sanitaire sont multiples, mais avant tout à trouver dans la situation économique du pays.
L’Espagne connaît une deuxième vague de coronavirus plus violente que ses voisins pour le moment. Ces chiffres s’expliquent-ils par une culture espagnole – repas en commun, approche plus tactile, culture de la fête – plus propice à la contamination ?
Il est toujours hasardeux de s’aventurer dans les explications culturalistes car elles sont difficilement quantifiables. Peut-être que l’aspect plus tactile de la culture latine a joué un rôle dans la propagation du coronavirus en Espagne, mais cela semble difficilement démontrable. Et tout comme on peut voir dans la culture de l’Espagne des éléments propices au virus (sieste à la maison, donc en lieu clos, repas partagé…), on pourrait en trouver pour tous les pays du monde en cherchant bien. Surtout, si cela joue un rôle, il semble bien faible face à l’explication qui semble la plus implacable : l’Espagne est un pays qui se remet difficilement de plusieurs crises économiques et qui a connu de nombreuses politiques d’austérité, ce qui a affecté son système de soins. Une politique d’austérité de santé, cela signifie également une prévention moins efficace, donc plus de contaminations.
L’Espagne, pays des régions par excellence, ne manque-t-elle pas également d’une politique nationale ambitieuse et commune ?
Il est certain qu’un Etat fort traditionnel aurait pu être plus efficace et mener une politique plus cohérente et mieux suivie sur le plan national. Plus encore qu’un pouvoir fort, c’est un pouvoir uni qui manque, car les tensions entre Madrid et Barcelone ou le Pays basque ne facilitent pas l’acceptation des mesures sanitaires. On a vu par exemple, que le port du masque était peu respecté en Espagne, en tout cas moins que dans d’autres pays. Il faut néanmoins relativiser cet élément.
Déjà, par rapport à la France ultra-centralisée, on a souvent vanté les adaptations régionales d’autres pays, notamment en Allemagne. Les Catalans indépendantistes argueraient d’ailleurs sûrement qu’en cas de scission avec l’Espagne, ils auraient mieux géré l’épidémie en s’adaptant mieux aux spécificités du territoire. Enfin, dans des nations très centralisées, comme le Royaume-Uni, on a vu qu’un discours fort mais chaotique, comme fut celui de Boris Johnso, n’a pas aidé à mieux contrôler l’épidémie.
Les causes sont donc multiples ?
Oui, il faut toujours se méfier des explications uniques. S’il fallait « hiérarchiser » les sources du problème, je placerais néanmoins l’austérité du pays loin devant, suivi des divisions politiques, et enfin on pourrait placer des explications culturalistes en dernier. A cela peuvent s’ajouter d’autres explications, comme la densité des grandes villes que sont Barcelone et Madrid ou le fait que l’Espagne soit un haut lieu du tourisme estival et qu’elle a donc pu subir, comme la région PACA en France, plus de cas durant l’été, ce qui aurait relancé l’épidémie.