Coronavirus : Mais c'est quoi cette histoire de vaccin en Russie ?
EPIDEMIE•L'annonce de la Russie, qui prétend disposer du premier vaccin efficace contre le coronavirus, soulève de très nombreuses questions
Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Ce mardi, Vladimir Poutine a déclaré que la Russie possédait le premier vaccin efficace contre le coronavirus.
- Une annonce retentissante dans un monde scientifique quasiment entièrement tourné vers la recherche d’une solution contre cette pandémie.
- Derrière la spectaculaire de la déclaration, se cachent de nombreuses questions.
Vladimir Poutine a annoncé ce matin en grande pompe que la Russie possédait le premier vaccin efficace contre le coronavirus, rien de moins. C’est parti pour essayer d’y voir plus clair dans cette annonce aussi spectaculaire qu’inattendue.
En Russie, on s’emballe clairement. La vice-première ministre chargée des questions de santé, Tatiana Golikova, a dit espérer commencer dans les semaines à venir la vaccination des personnels médicaux, puis des enseignants. Le reste de la population devrait être vacciné contre le coronavirus à partir de sa mise en circulation, le 1er janvier 2021. Plus d’un milliard de doses de ce vaccin, baptisé « Spoutnik V », ont été précommandées par 20 pays étrangers a affirmé le président du fonds souverain russe impliqué dans son développement, Kirill Dmitriev. Un enthousiasme qui n’empêche pas les questions.
Ce vaccin, faut-il y croire ?
On ne va pas faire durer le (faux) suspense plus longtemps, il y a de nombreuses raisons d’être prudent. Non pas que la Russie soit incapable de fabriquer un vaccin, voire d’être la première sur le coup, mais être aussi rapide et avoir tant d’avance sur la « concurrence », cela invite à la réserve.
Trouver un vaccin, c’est bien beau, mais encore faut-il le tester. Et cela prend souvent plus de temps que la quête de la mère dans How I Met Your mother ? Or, « il est peu crédible que tous ces tests soient déjà arrivés à terme et avec des réponses concluantes », balaie sèchement Nathalie Coutinet, chercheuse en économie de la santé à l’université Paris-XIII et experte des stratégies des firmes pharmaceutiques. Le verdict est sans appel : un vaccin, cela met généralement une dizaine d’années (!) à être découvert et testé.
Si à ce stade de votre lecture, vous êtes en train de penser « c’est foutu, on vivra avec le coronavirus jusqu’en 2030 », rassurez-vous, rarement la recherche d’un traitement n’aura mobilisé autant de moyens financiers et humains. Il est donc possible que le précieux sésame arrive plus rapidement que la normale. Mais en moins d’un an, ce serait très surprenant, considère Nathalie Coutinet. Il suffit de comparer avec les recherches des autres nations : les vaccins les plus avancés finissent la phase 2, ou entament à peine la phase 3 des tests, celles sur des cohortes humaines de plus en plus importante. Imaginer la Russie avoir une telle avance laisse donc sceptique. D’ailleurs, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a appelé à la plus grande prudence à propos de ce vaccin prématuré, évoquant la complexité des procédures et des tests.
La Russie peut-elle passer outre certains tests ?
« Il y a une vraie attente de mise à disposition d’un sérum efficace de la part des populations et des gouvernements. La tentation d’accélérer les procédures peut donc être forte », alerte Nathalie Coutinet. Jusqu’à présent, la Russie n’a pas publié d’étude détaillée des résultats de ses essais permettant de conclure à l’efficacité des produits qu’elle dit avoir développés. Dès lors, risque-t-on alors d’avoir un produit pas vraiment testé plein nos pharmacies ?
Pas si vite. Chaque pays (ou organisation politique comme l’Union Européenne) dispose d’une agence afin de vérifier que les procédures sont bien respectées et que le vaccin répond aux exigences de tests et de sûreté. Même une fois mis sur le marché, le traitement est contraint à une phase dite de pharmacovigilance durant laquelle on va à nouveau vérifier qu’il n’y ait aucun problème en surveillant les retours.
Certes, les agences ne testent pas elles-mêmes le produit et vont seulement surveiller les données envoyées par le pays créateur, en l’occurrence la Russie. Une fraude des données est donc possible, « mais les agences se montreront extrêmement vigilantes devant un vaccin aussi précoce et les données seront passées au crible », affirme la chercheuse.
Selon les pratiques, un vaccin pourrait être autorisé à la vente dans certains pays et pas dans d’autres. La perspective d’une Russie souple avec son propre produit tandis que l’Europe ou les Etats-Unis refuserait le Spoutnik V n’est donc pas un scénario à exclure.
Faut-il être le premier à sortir un vaccin pour gagner la bataille de la recherche ?
Une chose est certaine, la découverte d’un vaccin, même breveté, ne signifierait pas la fin de la course à la recherche. « Il y aura très certainement plusieurs vaccins commercialisés en même temps, prophétise la chercheuse. Plusieurs modèles et principes actifs sont testés actuellement, et rien n’empêche que plusieurs d’entre eux aboutissent. Au contraire même, cela pourrait s’avérer extrêmement utile car plusieurs réponses immunitaires différentes se développent avec le coronavirus. ». La Russie n’a pas encore remporté la guerre de la recherche.