Sommet européen : Les Pays-Bas sont-ils la nouvelle Allemagne budgétaire ?
UNION EUROPEENNE•Un pays du « Nord » se présentant comme économiquement austère et appuyant pour des financements « raisonnés », ça nous rappelle bien quelque chose, effectivementJean-Loup Delmas
L'essentiel
- Ce vendredi, l’Union européenne se penche sur un dossier massif : le plan de relance de 750 milliards d’euros censé aider les pays les plus en difficultés économiques à sortir de la crise liée au coronavirus.
- Un plan qui laisse sceptique pas mal de Nations, Pays-Bas en tête, qui ne cessent de contester la viabilité et l’intérêt d’un tel plan de relance.
- Une position qui ressemble à s’y méprendre à celle de l’Allemagne lors des précédentes crises européennes. Au point de prendre sa place ?
On a tous, dans notre groupe de potes, ce type qui compte son argent, refuse de payer sa tournée, rappelle à l’envi qu’« un sou est un sou » ou que « les bons comptes font les bons amis », et refuse de se qualifier de « radin », mais simplement de « raisonnable ». En Europe, ce pote serait assurément les Pays-Bas, des champs de tulipes dans les yeux mais des oursins dans les poches au moment de devoir se prononcer sur le plan de relance à 750 milliards d’euros sur lequel se penche l’Union européenne ce vendredi.
Ce rôle de l’ami qui nous veut du bien du moment qu’on ne touche pas à son porte-monnaie a longtemps été endossé par l’Allemagne, notamment lors de la crise de 2008. Intransigeante face à la Grèce, l’Espagne ou tout autre Nation méditerranéenne accusée d’une économie trop laxiste. Mais alors que Berlin ouvre désormais les vannes du financement aux pays du Sud, Amsterdam ont revêtu le costume du gendarme de l’austérité. Au point de prendre sa place ?
Voix audible mais poids plume
Pas si vite. Si le discours peut sembler similaire, Anne Sophie Alsif, cheffe économique du Bureau d’informations et de prévisions économiques (BIPE), nous ramène à une réalité loin des mots : les Pays-Bas n’ont pas du tout le même poids économique et politique que l’Allemagne. « C’est toujours le couple franco-allemand qui pèse sur l’Union Européenne. La voix néerlandaise porte bien peu en comparaison », explique Anne Sophie Alsif.
En réalité, le discours des Pays-Bas n’a pas changé depuis des décennies. Et si on peut avoir l’impression de le découvrir aujourd’hui, c’est parce que l’Allemagne, elle, a changé d’avis. « Les Néerlandais semblent audibles aujourd’hui car ils portent une voix dissonante du discours franco-allemand, mais pas sûr qu’ils puissent peser contre ou imposer un véto. Ce sommet va justement déterminer quel est leur vrai champ d’action », estime l' économiste Véronique Riches-Flores.
Sociologie économique diverse
D’où la question : Pourquoi Berlin a viré de bord quand Amsterdam est resté campé sur ses positions ? Lorsqu’elle tenait son discours de fermeté et d’austérité, l’Allemagne était tournée vers le monde plus que vers le Vieux continent, évoque Véronique Riches-Flores. Nation ultra-exportatrice, elle profitait de l’essor des pays en développement massif pour vendre son industrie. Avec les crises économiques successives, et la guerre commerciale Etats-Unis-Chine, l’Allemagne a vu son marché extérieur se réduire. Si bien qu’aujourd’hui, ce qui maintient ses exportations – et donc ses finances – à flot, c’est l’Europe des pays voisins. Décision a donc été prise de soutenir ses rares clients plutôt que de leur taper sur les doigts en leur faisant la leçon une nouvelle fois.
L’équation n’est pas exactement la même pour les Pays-Bas, « un pays historiquement tourné vers le commerce extérieur, avec donc une pensée très libérale et qui échange avec le monde », dépeint Anne Sophie Alsif. Comprendre : peu attaché à l’Europe et à son marché intérieur. Contrairement à l’Allemagne, son économie – plus modeste – a moins subi les affres des crises mondiales et reste enrichie par les pays autres que les 27. Pas prophète en leur continent, les Pays-Bas ont toujours poussé pour les traités UE-Canada ou UE-Etats Unis, allant même jusqu’à bouder le moindre alinéa protectionniste sur l’Europe, contraire à leur philosophie économique.
Rôle essentiel
Mais tout comme notre ami un peu pingre nous permet de ne pas nous réveiller avec une gueule de bois et 150 euros d’ardoise au bar, l’Europe n’aurait-elle pas besoin d’un « bad cop » pour tempérer les demandes de relance répétées ? Les Pays Bas ont désormais le leadership de la frugalité économique, et « cela reste une voix essentielle dans le débat », tranche Anne Sophie Alsif. Autrement dit, ce rôle, il fallait bien que quelqu’un le prenne.
Quitte à passer pour les austères sans cœur ? Pas certain que cela soit un problème pour Amsterdam, s’amuse la cheffe du BIPE : « Qu’importe ce qu’en pensent les pays du Sud, avec qui les Pays Bas ont peu d’affaires. Au contraire même, que les Pays-Bas défendent le libéralisme coûte que coûte et s’opposer à des dépenses publiques énormes sera probablement très bien vu par sa propre population, et c’est tout ce qui compte. »
Reste que l’Allemagne n’a pas changé de discours par bonté d’âme, « mais parce qu’elle a compris que c’était dans ses intérêts, rappelle Anne Sophie Alsif. Les Pays-Bas essaient de servir les leurs, comme tous les pays. C’est peut-être ça le manque de l’Europe, chaque pays pense d’abord à lui avant de penser au collectif. »