LA RDC minée par ses matières premières

LA RDC minée par ses matières premières

Le pillage des ressources naturelles en République démocratique du Congo, encore largement tabou, est au coeur du conflit qui ravage le pays depuis plus de dix ans. « C'est la cause principale de la guerre, affirme Jean-Paul Mopo Kobanda, chercheur e...
Faustine Vincent-  ©2008 20 minutes

Faustine Vincent- ©2008 20 minutes

Le pillage des ressources naturelles en République démocratique du Congo, encore largement tabou, est au coeur du conflit qui ravage le pays depuis plus de dix ans. « C'est la cause principale de la guerre, affirme Jean-Paul Mopo Kobanda, chercheur et auteur des Crimes économiques dans les Grands Lacs africains. Chaque conquête de nouveaux territoires vise le contrôle de nouveaux minerais. » Car la RDC regorge de richesses : or, diamant, cobalt, mais aussi et surtout du coltan, qui entre dans la composition des fusées et des téléphones portables, et de la cassitérite (minerai d'étain), utilisée pour le bâtiment et les boîtes de conserve. Un rapport confidentiel, réalisé par l'ambassade de France en RDC et remis mercredi aux diplomates français, révèle que le pays possède plus de 30 % des réserves mondiales en cobalt, 10 % de celles du cuivre, mais aussi de l'uranium et du pétrole. Ces richesses ont attisé la convoitise. Pillées par les pays voisins, les groupes armés et les militaires congolais, elles alimentent directement le conflit depuis 1996. « Ceux qui ont les armes les exploitent comme ils veulent, explique Christophe Lutundula, premier vice-président de l'Assemblée nationale de RDC et auteur d'un rapport sur le pillage des ressources naturelles. Et comme l'Etat congolais, trop faible, n'a plus le contrôle sur l'est du pays [en proie à la rébellion du chef congolais tutsi Laurent Nkunda, soutenue par le Rwanda voisin], c'est l'anarchie, tout le monde se sert ! »

Preuve de l'ampleur de ces pillages, le Rwanda a exporté 1 900 tonnes de cassitérite en 2004 alors qu'il n'en a produit que 300 tonnes, selon un rapport de l'ONG britannique Global Witness. « Tout l'excédent vient de la RDC », traduit Lutundula. En bout de chaîne, les entreprises internationales - notamment européennes, japonaises, canadiennes, américaines et chinoises - ferment les yeux sur la provenance des minerais, et protègent jalousement leurs intérêts. En 2002, le groupe d'experts de l'ONU, qui a effectué six rapports sur l'exploitation illégale des ressources en RDC, s'était risqué à citer 157 firmes et individus dont les activités finançaient la poursuite du conflit. Le tollé fut immédiat, et le rapport suivant, beaucoup plus consensuel.

Aujourd'hui, l'UE revient à la charge. Jeudi dernier, le Parlement européen a appelé à mettre en place un système de traçabilité des matières premières en provenance de la RDC. Il est inspiré du processus de Kimberley (système de certification) pour les « diamants du sang » ayant financé la guerre dans les années 1990 en Sierra Leone et au Liberia. « Le pillage des ressources sert à acheter des armes et à enrichir quelques-uns. Il faut que les compagnies qui consomment les minerais sachent d'où ils viennent, et qu'on mette sur liste noire celles qui continuent à importer de RDC », explique Thierry Cornillet, rapporteur permanent du Parlement européen pour l'aide humanitaire. La Commission européenne doit réaliser l'inventaire des importateurs avant de se prononcer courant 2009.

Cette action en bout de chaîne ne fait cependant pas l'unanimité. « Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire, nous assure le secrétaire d'Etat à la Coopération, Alain Joyandet. Mais il ne faut pas se tromper : si nous empruntons cette voie, les producteurs se tourneront vers d'autres acheteurs. Or, l'économie mondiale a besoin de ces produits, donc il vaut mieux voir en amont et tenter de trouver un accord régional pour une gestion transparente des ressources. »

« Il faut mettre la pression sur les deux : en amont et en aval », tranche Mopo Kobanda. Désabusé, il estime que « la guerre arrange tout le monde ». Sauf la population congolaise, qui ne retire aucun bénéfice de ses richesses et dont 75 % vit avec moins de 1 dollar par jour. « Notre peuple dort sur des matelas dorés, mais manque du minimum vital, résume Lutundula. Il y a un manque de volonté politique à l'échelle international. Les lobbies sont puissants, d'autant que les portables et les fusées sont des affaires qui marchent. » Le conflit a déjà fait 5,4 millions de morts dans le pays depuis 1998, le bilan le plus lourd depuis la Seconde Guerre mondiale. W