Primaire démocrate : Malgré des supporteurs enthousiastes, Pete Buttigieg montre ses limites dans le Nevada
REPORTAGE•Dans un Etat où les minorités représentent plus d'un tiers des électeurs, Bernie Sanders a écrasé la compétition et consolidé son statut de favoriPhilippe Berry
L'essentiel
- En un peu moins d’un an, Pete Buttigieg est passé du stade d’un quasi-inconnu à celui d’outsider dans les primaires démocrates.
- Samedi, le Nevada a cependant propulsé Bernie Sanders en tête.
- La jeunesse de Buttigieg est son atout, mais il se peine à séduire les minorités.
De notre correspondant aux Etats-Unis,
« Boot Edge Edge, Boot Edge Edge, Boot Edge Edge ! » En un peu moins d’un an, Pete Buttigieg est passé du stade d’un quasi-inconnu qui devait expliquer comment prononcer son nom – d’origine maltaise – à celui de jeune rock star acclamée par plus de 1.000 personnes dans un gymnase de Las Vegas plein à craquer. Mais malgré l’enthousiasme de ses supporteurs, celui qui a créé la surprise en remportant l’Iowa et en terminant second dans le New Hampshire n’a rien pu faire dans le Nevada.
Sur 50 % des bulletins dépouillés, samedi soir, Bernie Sanders a conforté son statut de favori de la primaire démocrate en obtenant plus de 45 % des délégués, contre 19 % à Joe Biden et 15 % à Pete Buttigieg. Et avec des soutiens inexistants chez les minorités, ça ne devrait pas s’arranger samedi prochain en Caroline du Sud pour « Mayor Pete ».
« Intelligent », « éloquent », « humble », « rassembleur ». Chez ses soutiens, venus le voir en chair et en os vendredi soir – la veille du vote – les mêmes mots reviennent pour décrire l’ancien maire de South Bend, une ville de 100.000 habitants du Midwest, dans l’Indiana. « On sent qu’il réfléchit avant de s’exprimer, il me rappelle un peu Obama. Ça fait du bien après trois ans de vomi verbal de Trump », lâche Mark. Son manque d’expérience, à 38 ans ? « Il en a plus que Trump en 2016. Et il montre à chaque débat qu’il est une classe au-dessus des autres », insiste cet ingénieur de 42 ans. Venue de l’université de San Diego pour renforcer les équipes locales de bénévoles, Marilyn, elle, a repéré Buttigieg il y a un an : « Il m’a séduite quand il a critiqué l’hypocrisie du [vice-président] Mike Pence qui a fait de sa foi un instrument de haine. Pete est croyant mais il prône l’inclusion, pas la division. »
Centriste pragmatique
Alors que le soleil couchant disparaît derrière les montagnes, la température plonge et une bénévole chauffe la foule qui patiente avant l’ouverture des portes. « Qui on veut comme Président ? » « Pete ! » « Qui on veut comme First Gentleman ? » « Chasten ! » Vêtu d’un t-shirt noir au logo arc-en-ciel, Ricky, venu avec son mari Ludo, ne minimise pas la portée symbolique de voir un candidat gay embrasser sur scène son époux. Mais selon lui, « ce qui montre qu’on a passé un cap, c’est qu’un final ce n’est plus un big deal. On parle davantage de ses idées que de son orientation sexuelle. »
Ses idées, elles sont modérées. Bernie Sanders défend « Medicare for all » (l’assurance santé publique pour tous), Pete Buttigieg est favorable à « Medicare for all who want it » (pour tous ceux qui en veulent), en laissant le choix aux Américains de conserver leur assurance privée via leur employeur. « On peut choisir la pureté idéologique ou bien rassembler par le consensus », insiste le candidat, accueilli sur scène par l’acteur Michael J. Fox. A la « révolution » de Sanders, il oppose son pragmatisme : « La réforme doit avoir le soutien d’une majorité d’Américains et pouvoir passer au Congrès. » Un message très bien accueilli par Kevin et son t-shirt « ancien républicain ». « On a besoin de quelqu’un de compétent et de modéré pour battre Trump. Ça aurait pu être Joe Biden mais Pete est deux fois plus jeune. Il faut du sang neuf. »
« Pete appartient à la génération qui va subir les conséquences du changement climatique »
Samedi, jour du vote au collège Hyde Park, à 10 km au nord des casinos de la strip. Même si les sondages donnent une nette avance à Bernie Sanders, Beth est persuadée qu’une surprise est possible. Sa fille Rachel, qui aura 18 ans en mars, est à ses côtés. Pour elle aussi, l’écart générationnel est un atout pour Buttigieg : « ''Ok Boomer'' résonne car le système est cassé et on continue de choisir des candidats âgés qui font partie du problème. Pete appartient à la génération qui va subir les conséquences du changement climatique. »
Mais l’optimisme ne dure pas. Les électeurs de quatre precincts (circonscriptions) sont rassemblés pour ce caucus, chacun dans un coin du terrain de basket. Dans cet exercice de démocratie participative, le vote ne se fait pas à bulletin secret comme pour une primaire : les participants se rangent en file indienne. Et dans le premier precint, Buttigieg n’a pas la cote. Sur 31 votants, seulement trois rejoignent son groupe, contre huit pour Elizabeth Warren et 15 pour Bernie Sanders.
En ajoutant le vote par correspondance, le groupe Buttigieg grimpe à 11 personnes sur 114 électeurs. Pas suffisant pour atteindre le seuil de « viabilité », fixé à 15 % des voix (ici 18 personnes). Des porte-paroles des candidats tentent alors de convaincre les orphelins de se joindre à eux. Très rodé, le représentant de Bernie Sanders parle de son combat pour la working class et de son engagement aux côtés de Martin Luther King. Editonia et Joe, qui avaient choisi Biden, se laissent séduire. « On parle souvent du vote noir comme un bloc, mais on a tous des sensibilités différentes. Sanders était notre second choix car il a le feu et se bat pour la justice et l’équité sociale », expliquent-ils.
2 % du vote afro-américain et 9 % du vote latino
Les sondages (réalisés à l’entrée des bureaux de vote) permettent de mieux comprendre les résultats. Bernie Sanders est crédité de 53 % du vote latino, contre 16 % pour Biden et 9 % pour Buttigieg. Chez les Afro-Américains, c’est 36 % pour Biden, 27 % pour Sanders et seulement 2 % pour Buttigieg. Dans un Etat comme le Nevada où les minorités représentent près de la moitié de la population (et environ un tiers des votants ce week-end), cela ne pardonne pas. Malgré ses 78 ans, Bernie Sanders règne également sans partage sur la jeunesse, à 66 % chez les 17-29 ans. Selon le sénateur du Vermont, c’est « avec la forte participation d’une coalition multigénérationnelle et multiraciale qu’il sera possible de battre Trump ».
Lors de son discours, Pete Buttigieg a félicité son adversaire pour son score avant de l’attaquer dans le même souffle : « Il pense que le capitalisme est la source de tous les maux. Il ne veut pas seulement réformer notre économie mais la transformer sans le soutien de la majorité des démocrates et encore moins des Américains. »
Alors que le « Super Tuesday » se profile, une course contre la montre s’est engagée. Quatorze Etats vont voter le mardi 3 mars, attribuant d’un coup plus d’un tiers des délégués en jeu dans la primaire. Si Bernie Sanders gagne avec les mêmes marges – et que l’arrivée de Michael Bloomberg éclate un peu plus le vote modéré – Buttigieg pourrait bien dire adieu à son rêve de devenir « President Pete ».