Primaire démocrate : Sonné, fatigué, fauché… Joe Biden est-il fini ?
ETATS-UNIS•Après deux échecs cinglants dans l’Iowa et le New Hampshire, l’ancien vice-président va jouer sa survie en Caroline du Sud dans deux semainesPhilippe Berry
L'essentiel
- Longtemps favori des sondages parmi les candidats à l’investiture démocrate, Joe Biden est en perdition après deux défaites cuisantes.
- Bernie Sanders fait la course en tête et Pete Buttigieg semble incarner la relève au centre.
- Biden espère se refaire en Caroline du Sud et réaliser un come-back sur le modèle de Bill Clinton. Mais son soutien chez les Afro-Américains est en train de s’effriter face à la montée de Michael Bloomberg.
Un colosse aux pieds d’argile. Après avoir dominé pendant des mois les sondages nationaux de la primaire démocrate, Joe Biden s’est effondré en l’espace de dix jours, terminant 4e dans l’Iowa et 5e dans le New Hampshire. S’il minimise sa contre-performance, assurant que la course ne commencera véritablement que dans deux semaines, le 29 février, en Caroline du Sud – un Etat à la démographie beaucoup plus diverse –, son soutien dans l’électorat afro-américain, présenté comme sa grande force, semble s’effriter. Et sa campagne, plus que jamais en danger.
Joe Biden avait tenté de faire du damage control lors du débat télévisé du week-end dernier, lançant : « On a pris un coup à l’estomac dans l’Iowa, et on prendra sans doute aussi un coup ici ! » Son explication ? L’électorat de l’Iowa est trop blanc, et le New Hampshire favorise les candidats originaires des Etats voisins, comme le sénateur du Vermont Bernie Sanders. L’ancien vice-président semble oublier qu’il était encore en tête des sondages du New Hampshire il y a moins d’un mois.
« Sleepy Joe »
Que s’est-il passé ? Des analyses post-mortem sont déjà en train d’être écrites sur un candidat trop vieux (77 ans) et surtout trop tourné vers le passé et le bilan d’Obama. Depuis le printemps 2019, il enchaîne les gaffes et perd souvent le fil de sa pensée, pas aidé par un bégaiement qu’il dit avoir vaincu mais qui semble ressortir lors des débats télévisés (lire « Ce que Joe Biden ne parvient pas à dire », par le journaliste John Hendrickson, qui bégaie lui aussi).
Avec son surnom « Sleepy Joe » qu’il tweete à tout va, Donald Trump appuie là où ça fait mal. Les meetings de Joe Biden ressemblent davantage à une partie de bingo en maison de retraite qu’aux rassemblements bouillants de Bernie Sanders (78 ans) ou aux rallyes MAGA du président américain (73 ans). Et ce manque de fougue semble contagieux, ce qui ne pardonne pas dans un Etat comme l’Iowa, où il faut des partisans gonflés à bloc pour faire du porte-à-porte afin d’organiser une campagne de terrain en plein hiver.
Joe Biden a-t-il été affaibli par l’impeachment et les attaques incessantes des républicains contre son fils et ses activités en Ukraine ? Peut-être. Mais son véritable problème, « c’est qui a tout misé sur son electability, [en affirmant qu’il était le candidat le mieux placé pour battre Trump] », note Chris Edelson, professeur de sciences politiques à l’université de Washington. « Du coup, il était particulièrement vulnérable à des contre-performances lors des premiers scrutins. » Difficile, en effet, de convaincre les électeurs des prochains Etats qu’il représente leur meilleure chance face à Donald Trump quand il n’arrive pas à battre Pete Buttigieg, ex-maire d’une ville de 100.000 habitants et qui a 40 ans de moins que lui. La défaite entraîne la défaite.
« La Caroline du Sud sera son firewall ou son Waterloo »
L’humiliation a été tellement grande dans le New Hampshire que Joe Biden a annulé sa soirée, filant la queue entre les jambes en Caroline du Sud. « Ce n’est pas fini mon gars, nous ne faisons que commencer, 99,98 % des noirs et des latinos n’ont pas encore voté », a-t-il lancé, misant sur un come-back par le Sud, comme Bill Clinton. Sauf que son soutien dans l’électorat afro-américain est en train de s’effondrer. Selon des sondages de l’institut Quinnipiac, Biden est passé en un mois de 52 % à 27 %, une chute qui profite directement à Bernie Sanders (19 %) et surtout à Michael Bloomberg (22 %). L’ancien maire de New York semble boosté par son tsunami publicitaire, notamment avec une pub diffusée lors du Super Bowl et des Oscars sur le contrôle des armes à feu. En face, Joe Biden, qui a levé presque deux fois moins de fonds que Bernie Sanders, n’a presque plus de cash – il a même dû interrompre sa campagne dans le New Hampshire pour participer à quelques fundraisers privés.
« Désormais, l’aile modérée du parti démocrate considère Pete Buttigieg ou Amy Klobuchar comme des alternatives viables à Joe Biden. A moins qu’il ne fasse un résultat correct dans le Nevada (le 22 février) et s’impose nettement en Caroline du Sud (le 29 février), il va devoir réfléchir à ce qui est mieux pour le parti et le pays », estime Chris Edelson. L’ancien porte-parole du parti républicain Doug Heye résume ainsi la situation : « Ça va être les deux semaines les plus longues de sa vie politique. On va voir si la Caroline du Sud est son firewall (bouclier) ou son Waterloo. »