Montée des eaux, mur en construction… Peut-on vraiment sauver Venise ?
ATLANTIDE•L'Italie est l'un des pays les plus concernés par les risques d'inondations liées au changement climatique en Europe
Lucie Bras
L'essentiel
- Venise s’est réveillée abasourdie mercredi après une « acqua alta » (marée haute) d’une ampleur exceptionnelle qui doit connaître un nouveau pic ce vendredi.
- L’inondation, qui a provoqué la mort d’un habitant, a provoqué de nombreux dégâts et causé la fermeture au public de la célèbre place Saint-Marc.
- Ces épisodes « de plus en plus forts et de plus en plus fréquents », font redouter la disparition de Venise, alerte Luca Iacoboni, chargé des sujets Climat et Energy pour Greenpeace Italie.
Des gondoles à la dérive sur les canaux de la ville, la célèbre basilique Saint-Marc inondée… Venise s’est réveillée sous les eaux ce mercredi et depuis le cauchemar ne finit pas puisqu’un nouveau pic de marée haute est attendu ce vendredi, poussant les autorités à fermer au public la place Saint-Marc. Si les marées hautes sont communes dans la ville, cette fois-ci, cette « aqua alta » historique a surpris les Vénitiens par sa force et sa hauteur. Alors Venise est-elle condamnée à disparaître ? Selon les experts, le changement climatique pourrait accélérer son engloutissement par la mer.
« Selon les prédictions, Venise est clairement l’une des villes les plus vulnérables en Europe, dans la zone méditerranéenne face à la montée des eaux », lâche Luca Iacoboni, chargé des sujets Climat et Energy pour Greenpeace Italie. « La marée haute est un phénomène qui a lieu très souvent à Venise », tempère-t-il, avant d’alerter : « Mais ce que le changement climatique modifie indéniablement, c’est la force de ce phénomène, et sa fréquence. »
Mose, ou comment sauver Venise des eaux
La vague de mercredi de 1,87 mètre (la ville de Venise est située à 1,30 m au-dessus du niveau de la mer) est la deuxième plus importante depuis le début des mesures, après l’aqua alta de 1966, qui est montée à 1,94 m. Sur les cinq fois où la basilique Saint-Marc a été inondée, les trois dernières se sont produites ces 20 dernières années.
Il existait pourtant, le projet qui devait sauver la ville. Son nom ? Mose (Moïse en italien), pour Module expérimental électromécanique. Le projet consiste à installer 78 digues flottantes qui doivent se lever pour fermer la lagune en cas de montée de la mer Adriatique, et stopper ainsi la montée des eaux. Lancé en 2003, le chantier est aujourd’hui à l’arrêt. « Le Mose ne devrait pas marcher avant les 2-3 prochaines années. Mais cela fait plusieurs années que le système doit être lancé dans 2-3 ans… Aux dernières nouvelles, ce que l’on sait, c’est que ça ne marche pas », se désole Luca Iacoboni.
Un chantier à sept milliards, « dépassé »
Surcoûts, malfaçons et scandales de corruption, ont entraîné de nombreux retards à ce chantier qui a déjà coûté sept milliards d’euros. « Un test a été réalisé récemment et a montré qu’il y avait des vibrations, ce qui a stoppé le projet de nouveau. Maintenant, les citoyens pensent que c’est une grosse perte d’argent. De nombreux experts disent que le projet est dépassé et pas adapté », rapporte Bianca Nardon, journaliste vénitienne et membre du VeniceClimateLab. « Les parties mécaniques sont sous l’eau tout le temps, même lorsqu’elles ne fonctionnent pas, et sont déjà corrodées », déplore-t-elle.
D’autres solutions ont été envisagées pour sauver Venise, mais le Mose était la solution la plus avancée. « À l’heure actuelle, il n’y a que le Mose. Hier aurait été un jour parfait pour le mettre au travail, mais malheureusement, ce n’est toujours pas fini », confirme Georg Umgiesser, chercheur en océanographie pour le Centre national de la recherche italienne. « Il existe d’autres projets alternatifs, mais ils ne sont pas nécessairement destinés à la lagune. Un autre projet vise ainsi à soulever Venise en injectant de l’eau dans ses sous-sols. Il pourrait être pris en compte, mais seulement une fois le Mose terminé. »
« Abandonner Venise » pour « sauver sa vie »
Et pourtant, tous les espoirs de Venise ne peuvent pas reposer sur le Mose. « Très honnêtement, il n’y a pas de barrière assez haute face à une montée des océans de cette ampleur », affirme Luca Iacoboni. Et l’avenir s’annonce sombre. « En 2050-2080, des études prévoient un changement d’emplacement du port de Venise vers l’arrière-pays. Mais qui peut dire si les prévisions sont correctes ? Les faits semblent pires que ce qu’on prévoit », constate Bianca Nardon.
« Je suis très sceptique », abonde Georg Umgiesser. « Si le niveau de la mer augmente comme prévu de 50 cm d’ici la fin du siècle, on aura un événement comme celui-ci chaque jour. Et nous arriverons à un niveau d’eau global où Venise ne pourra plus être défendue. J’ai calculé qu’avec un niveau d’eau de 75 cm, la lagune sera plus souvent fermée – par le Mose – qu’ouverte. Ce sera impossible, et le seul choix que nous aurons à faire est d’abandonner Venise ou de fermer complètement la lagune », conclut le chercheur.
« Nous sommes nombreux à penser que les gens vont quitter la ville et que le prix des maisons va baisser », témoigne Bianca Nardon. « Maintenant, nous restons et luttons pour obtenir un plan de protection et d’adaptation du gouvernement, mais nous devons être prêts à sauver notre vie. Pas seulement les œuvres d’art de la ville, mais notre propre vie. »
Un pays entièrement menacé
C’est pourquoi Greenpeace prêche pour que les responsables s’attaquent aux causes de l’élévation du niveau de la mer. « Il faut gérer l’urgence, mais surtout la prévenir. On doit travailler sur les causes qui sont les énergies fossiles, le gaz et le pétrole, la déforestation… Toutes ces choses sont reliées à ce qui se passe aujourd’hui à Venise et dans toute l’Italie », détaille Luca Iacoboni, qui préconise une meilleure gestion de l’eau et des terres.
« Demain, si l’on imagine une augmentation de trois degrés, il ne sera pas possible de sauver Venise des inondations », ajoute le militant. Et pas seulement Venise : Gênes, Rome, les Pouilles… Une grande partie de l’Italie est particulièrement exposée au changement climatique. Luca Iacoboni résume : « Venise est un endroit où la prise de conscience est déjà là. Mais si cela se passait dans une cité qui n’est ni aussi belle ni aussi célèbre, on n’aurait pas la chance d’en parler aux journalistes, et la ville serait probablement effacée de la carte. »