Irak : 31 personnes mortes dans les manifestations à Bagdad et le sud du pays
VIOLENCES•Les foules réclament des emplois et la fin de la classe politique corrompue20 Minutes avec AFP
L’Irak a vécu jeudi sa journée la plus sanglante depuis le début mardi de manifestations au cours desquelles 31 personnes ont été tuées avec des affrontements d’une violence inédite entre protestataires et forces de sécurité. Parti de Bagdad, le mouvement réclamant des emplois pour la jeunesse et le départ des dirigeants « corrompus » a désormais gagné la quasi-totalité du sud du pays et franchi un nouveau palier dans la violence, avec des dizaines de blessés par balles dans diverses villes du pays.
Si la contestation est le premier test populaire pour le gouvernement d’Adel Abdel Mahdi, qui doit souffler sa première bougie à la fin du mois, la journée de vendredi sera un important test politique pour le chef du gouvernement, avec le sermon du grand ayatollah Ali Sistani. Plus haute autorité religieuse pour la grande majorité des chiites d’Irak, il passe pour avoir son mot à dire, notamment pour nommer et démettre les Premiers ministres. Son prêche pourrait éventuellement donner un signal aux manifestants sur la suite du mouvement.
La stratégie du gouvernement critiquée
Adel Abdel Mahdi ne s’était exprimé jusqu’ici que par communiqué, saluant « la retenue des forces armées » et annonçant le couvre-feu à Bagdad, tandis que son bureau affirmait avoir rencontré des « représentants des manifestants ». Adel Abdel Mahdi est sorti de son silence dans la nuit de jeudi à vendredi pour défendre le bilan de son gouvernement et sa gestion de la crise qui menace « de détruire l’Etat tout entier ».
Il ne s’est pas adressé aux manifestants dans son discours télévisé mais a promis « des pensions aux familles sans revenus » tout en réclamant plus de temps pour mettre en place les réformes qu’il a promises à son arrivée au pouvoir. Au moment où la télévision d’Etat diffusait son allocution, des tirs pouvaient être entendus dans l’ensemble du centre de Bagdad. Les autorités, qui dénoncent des « saboteurs » et proposent aux protestataires d’appeler un numéro vert pour faire part de leurs revendications, semblent avoir choisi la fermeté, une décision critiquée jeudi par Amnesty International.
Un mouvement spontané
Dans la soirée, les affrontements se sont poursuivis dans plusieurs villes du sud de l’Irak, ainsi qu’à Bagdad où les blindés des forces spéciales sont entrés en action pour repousser la foule, les forces de l’ordre tirant sur le sol des balles qui ricochaient sur les manifestants, aussitôt transportés à bord de touk-touk par des camarades. Fait inédit en Irak, le mouvement est né sur les réseaux sociaux d’appels qu’aucun parti politique ou leader religieux n’a revendiqués.
Endeuillée par 31 morts -29 manifestants et manifestantes et deux policiers-, la contestation a tourné jeudi à la bataille rangée à Bagdad sur des axes menant à la place Tahrir, rendez-vous emblématique des contestataires. Manifestants et manifestantes d’un côté et policiers antiémeutes et militaires de l’autre se repoussaient par vagues dans la cité de neuf millions d’habitants, placée sous couvre-feu et où les fonctionnaires -la majorité des travailleurs du pays- ont été appelés à rester chez eux.
Pas de leader mais…
Ils assurent ne pas avoir de leader et uniquement réclamer des services publics fonctionnels après des décennies de pénurie d’électricité et d’eau potable, des emplois pour les 25 % de jeunes au chômage, et la fin de la corruption qui a englouti en 16 ans plus de 410 milliards d’euros. Mais un appel du très versatile leader chiite Moqtada Sadr -qui a rejoint la coalition gouvernementale mais menace régulièrement de la faire éclater- pourrait changer la donne.
Il a demandé mercredi soir à ses très nombreux partisans, qui avaient déjà paralysé le pays en 2016 avec des manifestations à Bagdad, d’organiser des « sit-ins pacifiques ». S’ils le font effectivement et décident de passer la nuit sur les places de Bagdad et du sud irakien, le bras de fer va se durcir.