Boris Johnson, Salvini... Les politiques sont-ils encore capables de faire des compromis ?
LEADER•Au nom de leur volonté d’incarner un leader fort et charismatique, les politiques accordent de moins en moins le droit au compromis et à la contradiction dans leur conduite. Une attitude qui n'est pas sans risque
Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Boris Johnson a décidé de suspendre pendant cinq semaines les débats au parlement.
- Dans tout le monde occidental, les leaders politiques semblent de moins en moins friands de débats, encore moins de compromis.
- 20 Minutes s’est penché sur les raisons d’une telle attitude.
Boris Johnson n’en finit plus de taper du poing sur la table. Le Premier ministre britannique menace les députés de son propre parti de les exclure s’ils s’opposent au No Deal (un Brexit sans accord), après avoir suspendu pendant cinq semaines les débats au Parlement. Quelques semaines auparavant, le ministre de l'Intérieur italien Matteo Salvini faisait éclater la coalition au pouvoir, l'estimant trop divisée.
A Paris, Cédric Villani devrait annoncer sa candidature mercredi, faute d’avoir trouvé un accord avec Benjamin Griveaux, vainqueur de la primaire LREM pour la capitale. Des cas bien sûr différents mais qui reflètent l'impossibilité du compromis voire du débat. Nos hommes et nos femmes politiques ont-elles changé ? Sont-ils et sont-elles moins aptes au dialogue qu'auparavant ?
La polarisation de la vie politique
« C’est effectivement une tendance de ces dernières années », estime Philippe Moreau Chevrolet. Le professeur de communication en sciences politiques à Science Po détaille : « Il y a une affirmation de leadership fort, qu’il soit un pouvoir autoritaire comme Poutine, Orban ou Bolsonaro, mais également désormais chez des régimes plus démocratiques, où on n’hésite plus à attaquer son propre parti politique ou ses institutions parlementaires. »
Mais comment l’expliquer ? Benjamin Morel, docteur en Science politique à l’ENS, y voit deux raisons majeures. Premièrement, une repolarisation de la vie politique, loin de « la dépolarisation du début des années 1990 jusqu’au début des années 2010, avec de nombreuses personnalités centristes comme Tony Blair, Bill Clinton, Jacques Chirac, etc. » Aujourd’hui, Emmanuel Macron et Angela Merkel font un peu état de derniers des Mohicans de cette période centriste. Et cela change forcément la donne pour le doctorant : « Les clivages sont désormais bien plus forts dans les électorats, et les valeurs de plus en plus différenciées. Or, vous ne parlez pas de la même façon à un électorat polarisé qu’à un électorat centriste. »
De la communication et des personnalités
Deuxième point évoqué, la « grande personnalisation de la vie politique, avec une médiatisation forte des exécutifs. Cela force les politiques à adopter des positions claires et de leader », atteste Benjamin Morel. Un changement moins flagrant en France, où notre Ve République a toujours été baignée dans la tradition bonapartiste d’un leader. Sauf que cette culture politique tricolore s’étend désormais au-delà de nos frontières. « Partout en occident, le peuple se cherche un héros et héraut en souhaitant s’identifier à un leader qui agit et incarne la capacité souveraine du peuple d’agir pour lui-même », poursuit notre expert.
Même constat chez Philippe Moreau Chevrolet, « la communication a aujourd’hui pris une place importante, presque démesurée, dans la vie politique. Le politicien veut incarner une personne plus qu’un parti, à ce titre, il défend ses propres convictions et ne peut les abandonner. » A cette communication à outrance s’ajoute un changement du rapport au citoyen à la politique pour le professeur : « Le vote est moins sociologiquement déterminé que par le passé, il est plus dépendant de la personnalité du politicien, ce qui pousse celui-ci à l’aiguiser, à essayer de se rendre unique ».
Droit comme un chêne
A ce titre, fléchir sur ses positions peut être mal perçu, voire interdit. Et pour l’illustrer, Benjamin Morel ne prend pas l’exemple d’un leader populiste comme Salvini ou Johnson mais celui plus modéré d’Emmanuel Macron : « Il a chuté dans les sondages deux fois au sein de sa base électorale : en décembre, quand il était réputé avoir fait des concessions aux "gilets jaunes", et aujourd’hui, s’il est en progression dans l’opinion générale, il a baissé dans le dernier sondage Harris dans son propre électorat, car ce dernier estime que le président a rétropédalé sur certaines positions fortes. La fidélité à un parti qui jadis était fondé sur une identité politique a cédé la place à la foi en un leader qui, s’il fait mine de reculer, n’est plus jugé digne de foi. »
Pour avoir la foi du peuple, il faut désormais incarner le héros seul contre tous, le rebelle indépendant face au système. « En faisant fi de l’avis du Parlement, l’homme politique montre une capacité d’agir et joue l’opinion publique contre les élus », appuie Benjamin Morel. C’est d’ailleurs selon lui le credo qu’a choisi Boris Johnson : « Le Parlement est perçu par une partie des Britanniques comme ce corps politique intermédiaire empêchant le peuple de s’exprimer. Le dirigeant qui refuse le compromis se présente comme le chef s’opposant au système et incarnant le peuple. »
Une thèse qu’appuie son collègue : « Quelque part, Boris Johnson dit “Le peuple a décidé du Brexit lors du référendum, nous allons suivre sa volonté, quoi qu’en pense le Parlement.” Les dirigeants profitent d’une crise des institutions, perçues comme sclérosées, comme ennemies du peuple, pour s’en affranchir. »
Même si tout cela a un coût, et à force de devoir aller au bout de leurs idées, le désaveu n’est jamais loin, comme le montre pour Boris Johnson la perte de la majorité absolue ce mardi. Benjamin Morel conclut sur ces colosses à la popularité d’argile : « La légitimité charismatique est une légitimité fragile, elle ne se transmet pas, pas plus qu’elle ne survit à l’échec. Si le politique échoue, alors il n’est plus l’être hors du commun auquel s’était attachée la foi populaire. Quelque part, il est condamné à réussir jusqu’à échouer. »