«Pour Salvini, c'est le moment ou jamais d'obtenir le pouvoir»

Crise politique italienne: «Pour Salvini, c'est le moment ou jamais d'obtenir le pouvoir»

INTERVIEWMatteo Salvini a réclamé des élections anticipées en Italie ce jeudi. Une façon de briguer directement le pouvoir, selon Jacques de Saint Victor, spécialiste du pays
Jean-Loup Delmas

Propos recueillis par Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Matteo Salvini a réclamé des élections anticipées en Italie ce jeudi et a déclaré que la majorité politique n’existait plus.
  • Un choix stratégique au moment où son parti, La Ligue, n’a jamais semblé aussi fort.
  • Pour Jacques de Saint Victor, membre de l’Association française des historiens des idées politiques (AFHIP), le pari est complexe mais a des chances d’aboutir.

Matteo Salvini a surpris son monde jeudi soir en réclamant des élections anticipées en Italie et en annonçant qu'il n'y avait plus de majorité dans le pays. Une décision surprise motivée par une ambition de devenir le leader politique de la Botte devant un Mouvement 5 étoiles actuellement majoritaire, mais en chute dans les sondages. Un pari plus complexe qu’il n’y paraît selon Jacques de Saint Victor, historien spécialiste de l’Italie, interviewé par 20 Minutes.

Pourquoi Matteo Salvini a pris cette décision surprise et quel est son intérêt ?

Matteo Salvini a l’impression que c’est le moment ou jamais d’agir. Il est au paroxysme de sa cote de popularité, en constante hausse depuis des mois. Il estime qu’il est temps que cela lui donne plus de poids politique. Les sondages indiquent qu’il atteindra avec sa nouvelle coalition plus de 40 % des voix, assez pour avoir la majorité des sièges en Italie. Lors des dernières élections législatives, la Ligue n’a eu « que » 17 % des suffrages, contre 35 % pour le Mouvement 5 Etoiles, Salvini est donc pour le moment minoritaire. Il compte bien capitaliser sur sa popularité pour inverser la tendance parlementaire, obtenir la majorité et devenir le leader du gouvernement.

Mais la situation est loin d’être aussi claire qu’il le voudrait : contrairement à son objectif, le président du conseil, Giuseppe Conte, du Mouvement 5 Etoiles, n’a pas accepté de se démettre, ce qui conduit à une crise parlementaire. Il faut reconvoquer les Chambres, parties en vacances, et constater si oui ou non la majorité n’existe réellement plus, et dans ce cas-là seulement s’ouvrira une crise institutionnelle, où le président italien devra trancher. Le plus probable est qu’il dissolve les chambres et convoque les urnes, ce que souhaite donc Salvini, mais il n’y est même pas obligé. En somme, l’affaire est loin d’être entendue.

Le Mouvement 5 Etoiles a donc tout à perdre en cas d’élections anticipées ?

Oui, il serait assurément le grand perdant, c’est pour ça qu’il fait tout pour jouer la montre, en souhaitant reporter le passage aux urnes. En jouant la voie parlementaire, en refusant de démissionner, en reconvoquant les chambres, Giuseppe Conte gagne du temps. Aujourd’hui, personne ne sait si les Chambres pourront être reconvoquées avant le 15 août, ni même en août. Or, passé un certain délai, il n’y aura pas le temps matériel pour un vote et la reformation d’un gouvernement avant le vote budgétaire qui exige un gouvernement. Tout le plan est donc de tellement retarder l’échéance que ce retard empêcherait les élections anticipées d’avoir lieu, à cause d’un impératif technique : le vote budgétaire.

Depuis des années, l’Italie a du mal à former des gouvernements. Est-ce que le peuple peut en vouloir à Matteo Salvini de faire une crise politique volontaire, dans un pays qui en a déjà tant traversé ?

C’est le pari du Mouvement 5 Etoiles, que Matteo Salvini passe pour un créateur de désordre et perdre des points dans cette tentative. Salvini, lui, pense que les Italiens en ont assez de cette coalition hétéroclite. A ce titre, la symbolique de la LGV, sur laquelle circulera le train grande vitesse devant relier Lyon et Turin, est très forte. Le Mouvement 5 Etoiles est contre alors que le gouvernement et Guiseppe Conte lui-même ont approuvé le projet. Mais qu’importe, le Mouvement vote des motions contre. Matteo Salvini dit que ce n’est plus possible, un pari de netteté politique qui sera probablement suivi par les Italiens.

Quel effet un Salvini définitivement au pouvoir pourrait avoir sur l’Europe et l’Italie ?

Ce serait un coup de tonnerre en Europe. L’un des pays fondateurs de l’Europe serait ouvertement dirigé par une coalition anti-européenne. Après le Brexit, difficile de savoir si les institutions européennes s’en remettraient.

Dans l’Italie, s’il avait enfin les mains libres au pouvoir, il partirait probablement sur un projet économique de la même nature de celui de Trump, avec un favoritisme national et une flat tax pour les petites entreprises. Outre le plan économique, c’est le plan des droits civiques, des droits des minorités et bien sûr la question des migrants​ qui seraient les plus à même d’être impactés.