PROTESTATIONSHong Kong peut-il vraiment s'émanciper de la Chine?

Hong Kong peut-il vraiment s'émanciper de la Chine?

PROTESTATIONSLes manifestations à Hong Kong, qui ne cessent de franchir de nouveaux paliers, peuvent-elles remodeler l’autonomie du territoire vis-à-vis de Pékin ?
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Les manifestations à Hong Kong ont franchi un nouveau cap ce lundi avec une entrée de la population dans le parlement du territoire.
  • Une situation nouvelle, qui réduit encore la marge de manœuvre de la Chine sur ce territoire dont elle rogne l’autonomie au fil des années.
  • Jusqu’où peuvent aller les revendications des manifestants et leurs résultats ?

Ce lundi, les manifestations à Hong Kong ont atteint un nouveau palier, des manifestants entrants et dégradant le Parlement. La situation est explosive dans le territoire qui appartient à la Chine mais qui possède sa propre administration, depuis qu’une loi pour l’extradition des prisonniers a mis le feu aux poudres. 20 Minutes fait le point avec deux spécialistes du pays pour essayer d’analyser la situation.

Avec le succès populaire des manifestations actuelles, Hong Kong peut-il s’émanciper de la Chine ?

« Le but de la population hongkongaise n’est pas l’émancipation, mais de revenir à la Basic Law de 1997, à savoir respecter le "Un Etat, deux administrations" de la rétrocession », tempère d’emblée Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’empire du Milieu. Car depuis des années, le gouvernement à Pékin rogne de plus en plus l’autonomie d’Hong Kong, censée pourtant durer jusqu’en 2047.

Même verdict pour le spécialiste de la Chine Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), qui explique que ce qui se joue aujourd’hui dans les rues de la ville « est la question sur le niveau de l’autonomie de Hong Kong ». Un niveau qui ne fait pas l’unanimité chez tous les manifestants : certains veulent revenir au statu quo d’avant la loi sur l’extradition, d’autres au niveau de 1997, « et une branche parmi les plus jeunes et les plus radicalisés des manifestants souhaitent même avoir encore plus d’autonomie par rapport à Pékin que lors de la rétrocession », comme il l’explique.

Là où les manifestants sont en position de force, c’est que la Chine est limitée dans son champ d’action par l’impact qu’une répression trop musclée pourrait avoir sur ses relations internationales. Jean-Vincent Brisset : « C’est un tout petit territoire à l’échelle du pays, et s’il a de nombreux atouts, notamment économiques, la Chine ne va pas écorner son image de marque internationale pour si peu. »

Une répression façon Tiananmen à Hong Kong relève de l’inimaginable, d’autant plus que le territoire hongkongais compte beaucoup de journalistes et de ressortissants étrangers. « L’évacuation du Parlement ce lundi s’est passée de façon à peu près légale », rappelle le chercheur de l’IRIS.

Que peut faire la Chine ?

Pas de bain de sang c’est noté, mais du coup que va faire la Chine ? Jean-Vincent Brisset voit deux options probables : « Pékin peut essayer, et c’est la solution la plus simple, de faire sauter Carrie Lam, actuelle dirigeante de Hong Kong. Il peut également tenter de créer une opposition à l’intérieur du territoire, comme il l’avait fait en 2014, lorsqu’il avait convaincu une partie de la population que les manifestations des parapluies démolissaient l’économie du territoire. »

La radicalisation et la violence d’une minorité de manifestants pourraient en ce sens aider Pékin, ce que plaide Antoine Bondaz : « Ce qu’il s’est passé lundi ne va pas faire l’unanimité, même au sein des manifestants, et la Chine peut jouer sur ça pour diviser le mouvement. » Pour lui, il est clair que, violence ou non, la Chine ne peut pas se permettre une action directe « car cela donnerait raison aux manifestants et prouverait que Hong Kong n’est déjà plus autonome ».

Du coup, la Chine pourrrait attendre que les manifestations se calment en faisant quelques concessions mineures, comme la loi d’extradition, qui pourrait effectivement sauter pour une longue durée : « Entre lâcher un peu de lest sur une loi loin d’être fondamentale et voir Hong Kong avoir de plus en plus de revendications et organiser ses manifestations de mieux en mieux, le choix est vite fait pour Pékin. La Chine avait probablement sous-estimé l’ampleur de la manifestation, la politisation de la jeunesse hongkongaise et la radicalisation de certains membres, elle pensait que rétropédaler sur cette loi suffirait, or, elle voit aujourd’hui que les manifestations continuent. »

Les manifestants peuvent-ils obtenir gain de cause ?

Pas totalement pour Jean-Vincent Brisset : « Il est impossible par exemple qu’il y ait de nouvelles élections car elles aboutiraient à une majorité parlementaire opposée à Pékin, ce que la Chine n’acceptera jamais. » Bref, Pékin veut bien concéder des détails, mais revenir à l’authentique Basic Law semble par contre impossible.

« Faire des vraies concessions sur des critères d’autonomie que la Chine a rogné depuis des années, cela serait inverser la dynamique actuelle, ce qui serait un vrai désaveu pour la Chine et qui n’est pas dans ses habitudes », admet à son tour Antoine Bondaz.

Reste surtout le vrai fond du problème : combien de temps avant que la Chine ne revienne à l’assaut de la Basic Law et la morcelle encore plus ? Car il est fort possible que le géant asiatique n’accepte de reculer que pour mieux repartir à la charge dans quelques années : « C’est probablement l’intention de Pékin, atteste Jean-Vincent Brisset. Surtout que les manifestants n’ont pas encore été préparés pour organiser des structures de protection pour l’avenir. Si la manifestation se tasse vite, la Chine aura tout intérêt à retenter de rogner un peu plus l’autonomie hongkongaise dans quelques années. »