VIDEO. Elections européennes: Cluj, simplement heureuse de faire la fête
NOS VILLES EUROPEENNES (3/5)•Avant les élections européennes, « 20 Minutes » est parti découvrir cinq nouveaux eldorados européens. Voici Cluj, ville où la fête est omniprésenteJean-Loup Delmas
L'essentiel
- Pendant toute la semaine, 20 Minutes vous invite à découvrir des villes parfois méconnue mais pourtant attractives.
- Cluj, troisième ville de Roumanie, est devenu le cœur étudiant du pays et propose une fête permanente, de nuit comme de jour, pour satisfaire sa jeunesse dorée.
- Entre bars, boîtes, festivals, culture, la ville cherche désormais à s’ouvrir à l’Ouest pour attirer toujours plus de visiteurs internationaux.
Il y a l’Europe de Berlin, Amsterdam, Rome, Copenhague ou Barcelone. Celle des grandes villes qu’on a tous un jour découvert le temps d’un voyage scolaire, d’un échange Erasmus ou d’un week-end festif. Et puis il y a la nouvelle Europe. Celle née de l’ouverture des frontières, des nouvelles technologies et des vols low-cost. Avant les élections européennes du 26 mai prochain, 20 Minutes vous invite dans une série de reportages à travers les villes devenant petit à petit nos nouvelles capitales. Ce mercredi, on pose nos valises à Cluj, en Roumanie, pour y faire la fête.
Être envoyé faire un reportage sur la fête en Roumanie à trois jours de la fin de notre période d’essai avait tout d’un traquenard. A la simple évocation de l’Est festif, on imagine déjà les soirées de débauches, l’alcool à prix cassé et la non-validation de notre CDI à une semaine près. Hors de question donc d’assécher des fleuves d’éthanol pendant ce reportage ou de finir la tête dans le trottoir. On se rassure de suite, Cluj est différente des clichés des folles soirées de l’Est. En tout cas, elle fait tout pour.
Troisième ville du pays, la capitale non-officielle de la Transylvanie propose une fête omniprésente mais rarement dans l’excès. En grande partie grâce à ses légions d’étudiants, lui ayant valu le titre de capitale européenne de la jeunesse en 2015. Ils représentent un quart des 350.000 habitants de la ville, et ne sont pas avares en enthousiasme quand il s’agit de faire bouger ses murs.
Vibrez jeunesse
« Cluj s’est imposée comme la ville étudiante roumaine par excellence. C’est l’image qu’elle veut se donner et qu’elle souhaite promouvoir, décrypte Lucian de l'office de tourisme. Il doit y avoir autant si ce n’est plus d’étudiants à Bucarest, mais la capitale est quatre fois plus grande et dense. » Contrairement à beaucoup d’autres villes, Cluj n’a pas relégué ses universités et ses cités étudiantes ou dortoir loin d’un centre calme. Les principales facs et universités sont en plein cœur de la cité, là pour lui faire battre la chamade.
« C’est impossible de s’ennuyer ici, affirme Tudor dans un pub de la ville. Il y a toujours un festival, un événement, une sortie à faire. » Cet étudiant roumain de 22 ans, membre du Conseil étudiant de la ville, nous raconte d’abord les monstres sacrés, comme le Untold, plus grand festival du pays, qui attire chaque année en août entre 250.000 et 350.000 amateurs de musiques électroniques. Mais la ville vibre surtout grâce à sa multitude d’événements plus anonymes tout au long de l’année. Manque de bol, à un jour près, on aurait par exemple pu tester le stand de raclette du Street food festival. Généreuse, la ville se plie en quatre pour choyer sa jeunesse dorée et n’hésite jamais au moment de prêter son stade ou à offrir ses parcs le temps d’une soirée ou d’un festival.
Rivalité roumano-hongroise
Ce dynamisme s’explique aussi historiquement. Jusqu’en 1918, la ville appartenait à l’empire austro-hongrois, dont elle a hérité d'une forte communauté. « Il y a depuis une rivalité sans hostilité entre la communauté hongroise et la communauté roumaine », nous raconte Raluca Mateiu chargé de la culture et de la communication à l’Institut français. Les deux camps se tirent la bourre : si un festival de musique hongroise s’ouvre, un festival de musique roumaine va se créer dans les deux semaines. Une saine émulation remplissant bien les calendriers d’événements.
On file rejoindre au Che Guevara Pub Benjamin et deux de ses potes, tous trois étudiants français en médecine là-bas. Ils seraient environ 1.500 comme eux à être parti de l’Hexagone pour apprendre l’anatomie et le nom des acides aminés à Cluj. Bien entourés de bières locales et noyé sous la fumée des cigarettes de ce bar pourtant non-fumeur, ils nous confirment la petite réputation qu’est en train de se faire la ville roumaine. : « Il y a toujours un truc à faire ici », s’enthousiasme Benjamin, dont les récits de soirées pourraient nous tenir la nuit.
Pêle mêle, on notera cette boite sur une colline qui permet de retourner la ville en dévalant la pente en roulades - « Il faut faire attention, la descente finit sur une route avec beaucoup de voitures », prévient gentiment son compère -, ce plan foireux de ne pas dormir de la nuit quand on a un avion tôt le lendemain pour le prendre directement, une stratégie qu’il se promet à chaque fois de ne plus faire mais qu’il recommence à chaque vol, ou cette soirée dans un abattoir désaffecté… enfin, il croit.
Le regard tourné vers l’Ouest
En plein débat avec ses amis pour savoir s’il s’agissait bien d’un abattoir ou non, il prend deux minutes pour finir sa démonstration : « Il y en a pour tous les goûts, que ce soit en termes de musique, d’ambiance ou culture. La ville fait d’immenses efforts pour importer des produits de chaque pays pour que tout le monde se sente bien. »
Car petit à petit, Cluj vire à l’international. A la nuit tombée, des hordes d’Erasmus déferlent dans les bars et les boîtes (ce n’est pas ce qui manque). Et des pointures du monde entier commencent aussi à y poser bagage, comme Steve Aoki, Lenny Kravitz, David Guetta et autres grands noms.
Passé austro-hongrois oblige, « Cluj est plus tourné vers l’Ouest que l’Est », explique Raluca Mateiu. « La ville cherche à s’ouvrir au monde. Lorsqu’on a commencé le programme Erasmus, seuls les Roumains partaient, mais personne ne venait. Aujourd’hui, grâce au bouche-à-oreilles, ils sont de plus en plus d’internationaux à venir y faire un bout de leurs études, et la ville gagne en réputation. » Ou plutôt efface peu à peu les clichés collés à la Roumanie.
Faux cliché et évidence du prix
« Quand j’en parle à mes amis, Cluj fait peur. Ou on me demande ce que je viens faire ici, admet Floriane, l’une des camarades d’études de Benjamin. Alors qu’en réalité, les gens sont très gentils et que la ville a une super ambiance. Je n’aurais jamais pensé en arrivant que c’était si festif et qu’il y aurait autant à faire. » Son comparse appuie : « Par rapport à la France, la fête y est plus spontanée, plus légère. Il y a beaucoup plus de place à l’initiative pour les étudiants, plus de libertés, ce qui donne des soirées non-déclarées, un peu underground, à l’improviste. » Alain, troisième membre du trio, conclut, d’un ton faussement mystérieux : « Ça s’organise souvent à la dernière minute sur les réseaux sociaux. Quand on connaît les bons plans, il y a facilement de quoi faire… »
Des clichés cassés, mais une évidence quand même : les prix dérisoires de la fête là-bas. Benjamin : « Bien sûr que l’argent impacte notre façon de faire la fête. A Paris, si je vais dans une boîte, je me sens obligé d’y rester car j’ai payé 15-20 euros l’entrée. Là, ça bouge tout le temps, ce n’est pas rare qu’on fasse trois-quatre boîtes dans la même soirée. Si on s’ennuie quelque part, on va ailleurs, ça rend Cluj très mouvant ». Avec des pintes à un ou deux euros au bar et des cocktails à quatre balles en boîte de nuit, il y a effectivement de quoi faire.
La course au plus original
Cette volatilité des fêtards oblige les boîtes et les bars à sans cesse se renouveler et à proposer toujours de nouvelles choses. Rencontre autour d’une bière avec Arnaud, membre de l’Erasmus Student Network et responsable partenariat et événement. Pour se faire pardonner sa demi-heure de retard, il nous promet une folle soirée avec trois bars et trois boîtes. Abandonnant notre résolution sur la modération de l’éthanol, on le suit nous raconter et présenter sa Cluj à lui, une ville dont il est tombé amoureux, notamment pour l’émulation continue qu’elle propose : « Pour les bars et les boîtes, c’est la course à la soirée la plus originale, la plus folle, la meilleure idée. Du coup, il y a une vraie recherche de soirée variée et délirantes. Les étudiants n’ont pas de bar prédéfini, ils se laissent porter. »
Ca tombe bien, la strada Piezisa, rue de la soif de la ville où nous buvons nos premières pintes, est peuplée de bars à ne plus savoir qu'en faire. Arnaud conte les déguisements de licornes, les cocktails prenant feu, les boîtes de nuit contenant des voitures de luxes entre deux pistes de danses, et les fameuses Russians Party, soirée où on caricature gentiment les voisins russes, façon pose improbable et jogging adidas. Ca va être une bonne soirée.
Il était un foie dans l'Est
Ce qu’il aime le plus dans sa ville coup de cœur, c’est l’ambiance bon enfant : « Le but est toujours de passer un bon moment, pas de finir minable ou de boire jusqu'à l'excès. » Comprenez bien que ce n’est pas à Cluj que vous verrez des légions de Britanniques venir ruiner leurs foies et leur budget jusqu'à s'échouer sur le trottoir. Alors que d'autres villes de l'Est ont fait de la débauche des touristes de l'Ouest un fond de commerce (coucou Budapest ou Varsovie), ce n'est pas le genre de la maison ou de la ville. « On ne se prend pas la tête ici », résume Arnaud.
Il suffit de voir qu’on est rentré avec nos vieux tee-shirts dégueulasses dans les boîtes pour s'en convaincre. Entre deux White Russian et une musique de Aya Nakamura (cocorico, la France brille à l’international) en fond sonore, on repense à ce que nous avait dit Benjamin : « Les gens s’habillent comme ils veulent, personne n’y prête attention. Pas besoin d’avoir de beaux habits pour sortir, de jour comme de nuit. C’est un peu comme à Berlin, on laisse une vraie place à l’excentricité. »
La nouvelle Berlin ?
Cluj serait-elle d’ailleurs en train de devenir pour les nouveaux fêtards la nouvelle Berlin en moins codifiée, moins trentenaire ? La ville ne dirait sans doute pas non, même si « elle en est loin », tempère Benjamin. Les internationaux dans la ville s'y plaisent clairement, mais encore faut-il les faire venir. Alex, Britannique de 16 ans, nous raconte avoir passé une tête à Cluj pour ses fameux festivals, « qu’il faut faire au moins une fois dans sa vie ». Mais en dehors de ces évènements exceptionnels, rares sont les étrangers à venir le temps d'un week-end de fête. Et tous les ressortissants croisés nous le confirment, pas facile d'attirer ses amis à Cluj, qui laisse quand même sacrément sceptique. Tudor ne le nie pas, « la ville devient de plus en plus touristique et cherche toujours à attirer plus de jeunes à l'internationale, mais il reste énormément à faire. »
Elle peut déjà compter sur Wizzair, compagnie aérienne lowt-cost qui multiplie depuis quelques années les vols vers cette ville. Un bon moyen d’attirer du touriste pour quelques jours. Et c’est vrai qu’au moment de notre départ à Cluj, on n'aurait pas parié sur l’existence d’un vol direct.
Rentré de nuit comme de jour
En attendant, la soirée continue, et alors que ce shot à 80 degrés brûle notre estomac façon Drogo à King's Landing (ne faites pas ça chez vous), la boîte où nous sommes, le Caro, attire les foules. Un lundi soir. « C’est plein tous les jours », contemple Arnaud, en saluant un à un ses amis Erasmus venus remplir les lieux. L’alcool aidant, on demande à chacun maladroitement « Why Cluj ? ». Si les nationalités diffèrent, toutes les réponses convergent : la ville, si accueillante, est devenue comme une deuxième maison.
C’est bien mignon tous ces bons sentiments mais c’est qu’on commencerait à être bourré nous. Un peu risqué de rentrer à patte dans cet état ? Pas du tout, nous assure Arnaud : « Ici, les rues sont sûres, on peut rentrer à n’importe quel heure sans problème. » En bon journaliste, on multiplie nos sources, mais hommes et femmes nous le confirment : pas de soucis la nuit. Un bon point de plus pour la ville.
Notre dossier sur les européennes
Quand il ne s’agit pas de rentrer de jour. Arnaud conclut : « Les boîtes ferment à 9/10 heures. Ca nous arrive donc de rester jusqu’au matin et d’ensuite rentrer chez nous ou d’aller en cours, en croisant des vieux qui nous sourient. Ils ont connu le communisme, la dictature, je crois qu’ils sont juste contents de voir que leur ville est devenue un endroit où on s’amuse et où on rit ».