Espagne: Après la victoire de Pedro Sanchez aux élections législatives, quels sont les scénarios possibles?
POLITIQUE•Faute de majorité absolue, le Premier ministre socialiste espagnol Pedro Sanchez, qui a remporté les élections législatives ce dimanche, va devoir trouver des alliés pour gouvernerManon Aublanc
L'essentiel
- Lors des élections législatives en Espagne, ce dimanche, le Parti socialiste a recueilli près de 29 % des voix et 123 députés, loin des 176 sièges nécessaires pour avoir la majorité absolue.
- Pedro Sanchez va donc être obligé de bâtir une coalition difficile pour pouvoir continuer à gouverner.
- Inconnu il y a six mois, le parti d’extrême droite, Vox, fait son entrée au Parlement avec 24 députés élus.
«Le futur a gagné et le passé a perdu » a lancé Pedro Sanchez, en proclamant sa victoire devant les militants du Parti socialiste espagnol (PSOE). Le Premier ministre socialiste a réussi son pari en remportant, ce dimanche, les élections législatives. Mais faute de majorité absolue, le chef du gouvernement va devoir se trouver des alliés, pour contrer l’arrivée de l’extrême droite au Parlement.
Plongée dans une instabilité politique depuis la fin du bipartisme conservateurs-socialistes en 2015 et la tentative de sécession de la Catalogne en 2017, l'Espagne va devoir tenter de composer avec un Parlement fragmenté et des divisions exacerbées. 20 Minutes fait le point sur ces élections et leurs conséquences.
Quels sont les résultats de cette élection ?
Le Parti socialiste a remporté 29 % des voix et 123 députés, un score nettement plus élevé qu’en 2016 (85 sièges), mais loin de la majorité absolue de 176 sièges sur 350. A droite, les conservateurs du Parti populaire (PP) ont perdu la moitié de leurs sièges, et retombent à 66 députés, contre 137 en 2016. Les libéraux de Ciudadanos ont, eux, réussi une belle percée, passant de 32 à 57 députés. Pour la première fois depuis la fin de la dictature de Francisco Franco, le parti d’extrême droite, Vox, fait irruption au Parlement avec 24 sièges.
Pour Barbara Loyer, professeur à l’Institut Français de Géopolitique de l’Université Paris 8 et spécialiste de l’Espagne, la victoire des socialistes s’explique par trois raisons : « D’abord la défaite de Podemos qui a perdu un très grand nombre de sièges. Il y a eu un transfert de voix de l’extrême gauche vers le parti socialiste, qui a récupéré un grand nombre de votes. De plus, les sondages donnaient un large score à l’extrême droite, ce qui a fortement mobilisé la gauche. Deuxièmement, depuis le début de sa prise de pouvoir, Pedro Sanchez a pris des décisions contre l’austérité avec l'augmentation du salaire minimum, l’amélioration de la question des retraites. Enfin, la division de la droite en trois partis (Vox, Partido Popular, Ciudadanos), ce qui l’a nettement affaiblie. »
L’entrée de l’extrême droite au Parlement était-elle attendue ? Est-ce historique ?
Pratiquement inconnu il y a six mois, le parti d'extrême droite Vox a fait son entrée dans le paysage politique espagnol. « C’est historique puisque, depuis la fin du franquisme, on n’avait jamais vu une telle poussée de l’extrême droite en tant que parti autonome. L'extrême droite était traditionnellement contenue à l'intérieur du parti populaire. Là, la nouveauté, c’est que l’extrême droite s’est autonomisée par rapport à la droite traditionnelle », explique Stéphane Michonneau, spécialiste de l’Espagne et professeur à l’université de Lille. La raison ? « Il y a eu un transfert de voix très nette du Parti Populaire (le PP, Partido Popular, un parti politique libéral-conservateur) en direction de Vox », estime le professeur.
Adoptant un virulent discours antiféministe et contre l’immigration, Vox a également prospéré ces derniers mois en prônant la manière forte en Catalogne. « C’est une nouveauté, mais ce n’est pas complètement une surprise, on attendait même des résultats plus forts après les résultats des élections autonomiques en Andalousie. Finalement, son score est en deçà de ce que les sondages prévoyaient », poursuit le spécialiste de l’Espagne. « Ils n’auront pas de pouvoir législatif, mais ils vont quand même avoir un groupe parlementaire. Ils feront sans doute entendre parler d’eux sur des sujets conservateurs comme l’avortement, l’euthanasie, maintenant ils ne pourront que faire entendre leurs voix », tempère Barbara Loyer.
Pourquoi la mobilisation a-t-elle été aussi forte ?
Plus de 75 % de la population s’est rendue aux urnes, ce dimanche, pour aller voter, soit neuf points de plus qu’en 2016, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Les socialistes et la gauche radicale, Podemos, avaient appelé les électeurs à se mobiliser en masse pour contrer la montée de l’extrême droite : « Il y a eu certainement un réflexe de mobilisation à gauche contre Vox précisément, qui a fait sans doute très peur. Plus que Vox encore, c’était la possibilité d’une alliance entre les trois partis de droite qui a très fortement mobilisé l’électorat de gauche », explique Stéphane Michonneau.
Pour la professeure à l’Institut Français de Géopolitique, la participation n’est pas si inédite : « Historiquement, les Espagnols ont toujours voté massivement, ce sont des gens pour qui les élections sont importantes, ils croient en la démocratie, ils se mobilisent. D’autant que, là, les enjeux étaient très importants. »
Quels sont les scénarios d’alliance possibles ?
Si le Parti socialiste a remporté les élections, il n’a pas obtenu la majorité absolue et va devoir bâtir une coalition. Pour le professeur à l’université de Lille, Stéphane Michonneau, deux scénarios s’offrent désormais à Pedro Sanchez. D’abord, l’hypothèse d’une alliance entre le parti socialiste (PSOE) et le parti Ciudadanos : « A eux deux, ils auraient la majorité absolue. Mais vraisemblablement, ce scénario est peu probable, car Ciudadanos est présenté comme le premier parti d’opposition », explique-t-il.
L’autre possibilité, selon lui, « c’est une alliance des socialistes Podemos et des petits partis de gauche, grâce auxquels Sanchez pourrait bénéficier de leur abstention au Parlement (les Basques et ERC). Avec ça, on arriverait à une majorité relativement consolidée. » Pour Barbara Loyer, seule une alliance avec le parti de Pablo Iglesias Turrión est envisageable : « Il est obligé de faire une coalition avec Podemos, il va être obligé de mener une politique économique anti-austérité, de distribuer de l’argent, sans doute, de creuser le déficit pour répondre aux attentes de Podemos. Pedro Sanchez va devoir rester sur une ligne de crête qui ne sera pas simple à tenir ».