Interpol veut éviter les mandats d'arrêt abusifs de dictatures contre des opposants réfugiés
POLICE•La tâche paraît difficile alors que l’intérêt premier de l’organisation est le partage d’informations20 Minutes avec AFP
Accusé d’être instrumentalisé par certains États pour traquer leurs opposants, Interpol a revu ses processus de publication des fameuses « notices rouges » mais sans parvenir à protéger totalement des dissidents parfois pourchassés jusque dans leur pays d’asile.
Persécuté et victime de tortures en Egypte, Sayed Abdellatif a quitté son pays et demandé l’asile à l’Australie en 2012. Mais sur la foi d’une notice rouge émise par Interpol à la demande du Caire, il est resté détenu cinq ans dans un camp de réfugiés australien avant que l’avis de recherche ne soit levé.
13.000 mandats chaque année
Ce cas est l’un des nombreux mis en lumière par l’ONG londonienne Fair Trials, qui maintient Interpol dans son viseur et alerte sur les journalistes, défenseurs des droits de l’Homme et opposants inquiétés ou arrêtés après l’émission peu précautionneuse de notices rouges.
Parmi les plus de 13.000 émis chaque année, Fair Trials ne peut préciser le nombre d’avis de recherche « à motif politique » ou « abusifs ». Mais un de ses directeurs, Alex Mik, explique que « des exemples ont été observés du côté de l’Égypte, de l’Azerbaidjan, des Émirats Arabes Unis, du Venezuela, de l’Iran, d’Indonésie, du Bahrein, en plus de la Russie, de la Chine et de la Turquie ».
Système de contestation
L’action des avocats du Bolivien Mauricio Ochoa Urioste, réfugié en Uruguay et condamné à 9 ans de prison pour association de malfaiteurs dans son pays, a ouvert la voie à une remise en cause au sein d’Interpol. Dès fin 2014, son nouveau secrétaire général, l’Allemand Jürgen Stock, a lancé une réforme baptisée « politique des réfugiés » instaurant de nouveaux contrôles.
Interpol a ensuite revu le fonctionnement de la Commission de contrôle des dossiers (CCF) qui filtre les notices rouges et, depuis 2017, ceux qui les contestent ont accès à un système plus transparent.
« Beaucoup à faire »
Cependant, des réfugiés continuent de faire les frais des avis d’Interpol. Le cas du footballeur du Bahrein Hakeem Ali Al-Araibi, réfugié en Australie mais détenu 70 jours en Thaïlande sur la base d’un mandat d’arrêt de son pays d’origine relayé par Interpol, a marqué les esprits en début d’année.
« Il reste encore beaucoup à faire pour s’assurer qu’Interpol mette son système en conformité avec les droits de l’Homme », assure Alex Mik, appelant à une « meilleure collecte de données » et des moyens accrus pour surveiller « l’efficacité des réformes ». Le secrétaire général d’Interpol précise que « les contrôles des notices et leur diffusion dépendent de l’information disponible au moment de la demande. Si de nouvelles informations pertinentes apparaissent, le cas est réexaminé ».
Question insoluble
Pour Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), « il faudrait accélérer les délais de saisine de la CCF, avec une sorte de procédure en référé pour les situations particulièrement abracadabrantes ». Il suggère aussi « un meilleur contrôle pour les pays compliqués ». Ce filtrage est devenu beaucoup plus difficile depuis la simplification des processus d’émission après le 11 septembre 2001.
La question est quasiment insoluble, pour Alain Bauer, sauf à « nuire fondamentalement à ce pour quoi la machine est faite. Interpol n’est qu’un organe de transmission de l’information (…) Et il y a aussi de vrais criminels dans les dictatures… ».