Algérie: «La démission d’Abdelaziz Bouteflika ne suffira pas à sortir de la crise»
INTERVIEW•Lâché ces deux derniers jours par des soutiens historiques et influents, Abelaziz Bouteflika semble tout proche de la sortie. Mais qu’il démissionne ou qu’il soit destitué, cela ne mettra pas fin à la colère de la rue, estime le géopolitologue Brahim OumansourPropos recueillis par Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Le Rassemblement national démocratique et le chef d’état-major de l’armée algérienne viennent de lâcher le président Abdelaziz Bouteflika en demandant sa démission ou sa destitution.
- Le président algérien perd ainsi deux soutiens historiques alors que le mouvement d’opposition du peuple algérien à son encontre ne faiblit pas.
- De quoi entrevoir la fin politique d’Abdelaziz Bouteflika ? « Sans doute, répond Brahim Oumansour. Mais si ces défections visent seulement à sauver ce qui peut l’être de l’actuel régime politique algérien, elles ne permettront pas de mettre fin à la crise. »
Le mouvement de contestation contre Abdelaziz Bouteflika ne faiblit pas en Algérie et l’actuel président, qui s’accroche au pouvoir, est de plus en plus esseulé. Ces deux derniers jours, il a ainsi perdu deux soutiens historiques. Le Rassemblent national démocratique (RND), principal parti allié du FLN, a réclamé mardi soir sa démission. Le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, a, lui, proposé le lancement de la procédure prévue par l’article 102 de la Constitution algérienne qui permettrait de déclarer Abdelaziz Boutteflika inapte à exercer le pouvoir.
Est-ce cette fois-ci la fin politique de Bouteflika ? Sa démission suffira-t-elle à répondre aux attentes de la rue algérienne ? Brahim Oumansour, chercheur associé à l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques), spécialiste du Maghreb, répond aux questions de 20 Minutes.
La fin politique d’Abdelaziz Bouteflika est-elle désormais imminente ?
Cela y ressemble en tout cas. Les défections se sont multipliées depuis les débuts, il y a un mois, de la contestation de la rue algérienne à un cinquième mandat de Bouteflika. Mais mardi soir avec le RND et ce mercredi matin avec le général Ahmed Gaïd Salah, ce sont deux soutiens historiques et très influents que perd le président algérien. Le RND, c’est l’administration profonde. Ahmed Ouyahia [son secrétaire général] a occupé de très hauts postes dans les gouvernements algériens ces trente ans dernières années. Quant à Ahmed Gaïd Salah, c’est tout simplement le chef d’Etat major de l’armée et le vice-ministre de la défense, ce qui fait de lui l’un des personnages les plus puissants du pouvoir algérien.
Pourquoi ces deux soutiens historiques le lâchent aujourd’hui, plus d’un mois après le début de la crise ?
Un élément n’était depuis longtemps plus pris en compte en Algérie : la rue et son pouvoir de mobilisation. Le mouvement de contestation n’a pas faibli depuis le début. On parle même de millions de manifestants dans les rues du pays lors du cinquième vendredi de mobilisation le 22 mars dernier. Personne ne veut se retrouver face à cette pression de la rue, y compris l’armée.
A quoi faut-il s’attendre aujourd’hui : une démission d’Abelaziz Bouteflika ou le déclenchement de la procédure prévue par l’article 102 de la constitution ?
Ce sont effectivement les deux options qu’Ahmed Gaïd Salah et le RND. La procédure prévue par l’articule 102 de la Constitution permet de déclarer le chef de l’Etat inapte à exercer ses fonctions, notamment pour cause de maladie grave et durable. Il reviendra alors au président du conseil constitutionnel de lancer la procédure, puis aux deux chambres du Parlement de voter. Il faudra un vote à la majorité des deux tiers pour décréter « l’état d’empêchement ». Et si cet « état d’empêchement » perdure au-delà des 45 jours, alors le pouvoir sera déclaré vacant.
Autrement dit, passer par l’article 102 de la constitution est une procédure longue. Une démission d’Abelaziz Bouteflika serait beaucoup plus rapide. Il est fort possible que le président algérien s’y résolve. Ce serait en tout cas la sortie la plus honorable possible.
Pourquoi ces deux solutions ne devraient pas calmer la contestation de la rue algéroise ?
Il faut se poser la question des motivations d’Ahmed Gaïd Salah et du RND. Que cherchent-ils en lâchant Bouteflika ? A répondre à la demande d’élection libre et transparente portée par le peuple algérien ou d’abord à sauver ce qui peut l’être du régime et assurer sa continuité ? Si c’est la deuxième option, cela ne calmera pas la rue algérienne. Elle ne demande pas seulement le départ de Bouteflika mais un changement profond du système politique algérien. La population ne veut plus de ces figures politiciennes qui incarnent le pouvoir depuis plus de trente ans et encore moins que celles-ci soient chargées de préparer la transition. Il y a une vraie crise de confiance en Algérie nourrie par des années de déceptions. La politique algérienne a fonctionné pendant des années dans un système à huis clos, basée sur la cooptation, une séparation fragile des pouvoirs, la corruption… Les jeunes générations n’ont pas du tout été intégrées au pouvoir par exemple. Confronté à une crise sociale et alors qu’une crise économique s’annonce, le peuple algérien veut passer à autre chose aujourd’hui.
Quelle pourrait être alors une sortie de crise aujourd’hui en Algérie ?
Le mandat d’Abelaziz Bouteflika expire le 28 avril prochain. Plusieurs partis d’opposition proposent d’instaurer dans la foulée une période de transition dont les pouvoirs seraient confiés à une instance présidentielle collégiale, chargée d’organiser un scrutin libre et transparent. Cette solution aurait le mérite de permettre à de nouvelles figures et de nouveaux partis, issus notamment de l’actuel mouvement de contestation, d’émerger et de se préparer à la présidentielle. C’est sans doute la solution la plus sage, mais c’est aussi celle qui prendra le plus de temps. Cette période de transition pourrait prendre au moins un an. Elle nécessitera par ailleurs de fortes garanties. Il faudra que cette instance présidentielle collégiale soit composée de figures neutres, des technocrates. Même la présence de membres de partis de l’opposition dans cette instance ne serait sans doute pas acceptée par la population algérienne.