Cachemire: Jusqu’où peut aller l’escalade des tensions entre le Pakistan et l’Inde?
INTERVIEW•Les tensions sont montées d’un cran ce mardi entre les deux pays au Cachemire, une province frontalière qu’ils revendiquent tous les deux depuis 1947. Une poussée de fièvre qui a de quoi inquiéter : l’Inde et le Pakistan ont tous les deux l’arme nucléairePropos recueillis par Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- La poussée de fièvre se poursuit, ce mercredi, entre l’Inde et le Pakistan. L’Inde a annoncé avoir abattu un avion pakistanais dans la région disputée du Cachemire, un affrontement au cours duquel un de ses propres avions a été abattu par le Pakistan.
- Les tensions sont régulières entre les deux pays autour du Cachemire, une région frontalière qu’ils revendiquent tous deux depuis 1947. L’actuelle crise est partie d’un attentat suicide dans le Cachemire indien le 14 février et revendiqué par des islamistes pakistanais.
- Jusqu’où ira l’escalade des violences ? « Jusqu’à ce que la communauté internationale réagisse enfin », note le politologue Christophe Jaffrelot.
Des deux côtés de la frontière, la parole se veut rassurante. Le Pakistan comme l’Inde répètent « vouloir rester responsables », « éviter l’escalade » et, surtout, « ne pas vouloir aller à la guerre »… Des paroles qui cachent mal les vives tensions qui opposent les deux pays au Cachemire, cette région montagneuse collée à l’Himalaya partagée depuis 1947 entre le Pakistan et l’Inde.
Depuis 1947, ces deux pays se sont déjà livré trois guerres, dont deux au sujet de cette région, et les tensions se sont brutalement aggravées depuis ce mardi. « Cette nouvelle crise prend une tournure inquiétante », estime Christophe Jaffrelot, auteur de L'Inde de Modi (éd. Fayard), directeur de recherche au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences po, où il étudie les relations entre le Pakistan et l’Inde. Il répond aux questions de 20 Minutes.
Pourquoi le Cachemire est-il une poudrière ?
Cette province est une zone de tension depuis l’origine, c’est-à-dire depuis la partition de l’empire britannique – basé sur la démographie religieuse – qui a donné naissance, les 14 et 15 août 1947, d’un côté au Pakistan, à majorité musulmane, et de l’autre à l’Inde, à majorité hindoue. La province du Cachemire étant à majorité musulmane, elle aurait dû rejoindre le Pakistan, du moins aux yeux des Pakistanais. Mais cette province était alors dirigée par un maharaja hindou pour qui il n’était pas question de rejoindre le Pakistan.
Le Cachemire a donc été initialement rattaché à l’Inde, mais pour quelques jours ou quelques semaines seulement : les troupes pakistanaises ont attaqué aussitôt. C’était la première guerre entre les deux pays et elle a abouti à une ligne de partage, appelée aussi « ligne de contrôle » qui est à peu près celle qui existe encore aujourd’hui. La plus grande partie du Cachemire est restée aux mains des Indiens, mais une bonne portion tout de même a basculé au Pakistan.
Ce statu quo n’a pas fait taire les tensions. Les deux pays se sont livré une autre guerre en 1965 au Cachemire même, et une troisième en 1971. S’il y a eu des incidents au Cachemire, ce troisième conflit a eu pour principal théâtre la partie orientale du Pakistan, de l’autre côté de l’Inde. Poussée par New Delhi, celle-ci a accédé à l’indépendance à l’issue de ce conflit en devenant le Bengladesh.
Assiste-t-on aujourd’hui à une crise majeure que l’Inde et le Pakistan n’avaient pas connue depuis longtemps ?
Il y a régulièrement des tensions autour du Cachemire entre les deux pays. L’actuelle crise est tout de même d’une intensité que la zone frontalière n’avait pas connu depuis 1999 et le conflit de Kargil – une guerre de quelques mois déclenchée après l’infiltration de soldats pakistanais et de combattants islamistes sur la partie indienne de la ligne de contrôle. Depuis 1999, on assistait à des démonstrations de force voire des échanges de feu de part et d’autre de la ligne de contrôle, avec une montée des tensions depuis cinq ans. Les violations du cessez-le-feu ont même atteint un point culminant l’an dernier avec plus de 1.000 violations enregistrées. Le bilan des victimes est imprécis mais ça se compte très vraisemblablement en plusieurs centaines de tués parmi lesquels des civils.
A cela s’ajoutent les attaques régulières, au Cachemire indien, du groupe islamiste pakistanais Jaish e-Mohammed, créé en 2000 et qui se fixe pour objectif de libérer la province du joug indien. Ils ont revendiqué l’attentat suicide du 14 février dernier qui a tué une quarantaine de paramilitaires indiens. C’est le point de départ de l’actuelle escalade des tensions entre les deux pays.
Quels sont les liens entre les autorités pakistanaises et les groupes islamistes comme Jaish e-Mohammed ?
Officiellement, pour Islamabad, Jaish e-Mohammed n’existe pas. Les autorités pakistanaises sont dans le déni complet. Il est pourtant quasiment acquis que ce groupe terroriste jouit de protections très fortes de la part des autorités pakistanaises. Ces islamistes sont vus par l’armée comme un relais, une ressource pour attaquer de manière non conventionnelle le voisin indien.
De ce fait, l’Inde n’a aucune confiance en son voisin pour combattre Jaish e-Mohammed. D’où le raid aérien indien en territoire pakistanais mardi, qui visait un camp d’entraînement du mouvement islamiste Jaish-e-Mohammaed. L’Inde dit avoir tué des centaines de djihadistes lors de cette opération. C’est invérifiable et même peu probable.
L’Inde et le Pakistan sont deux nations nucléarisées. Jusqu’où peut aller cette nouvelle crise entre les deux pays ?
Tout dépendra du moment choisi par la communauté internationale pour se réveiller. A ce jour, elle est extraordinairement passive. Par le passé, la diplomatie américaine grimpait rapidement au créneau. La stratégie sous l’ère de Donald Trump n’est plus du tout la même : on assiste bien plus à un retrait américain à tous les niveaux.
En attendant, il faut s’attendre à une montée en puissance des attaques que s’infligent les deux pays. La dissuasion nucléaire agira comme un plafond, une ligne rouge qui ne sera jamais franchie, mais on peut s’attendre à des nouveaux raids aériens en territoire ennemi et des échanges de tirs de part et d’autre de la ligne de contrôle. Ce mardi, le Pakistan a annoncé la capture d’un pilote indien [une vidéo du pilote prisonnier a été diffusé mardi par le Pakistan]. Une humiliation pour le Premier ministre indien, Narendra Modi, le poussant à réagir de nouveau.