Syrie: «On n'est pas des animaux»... Deux Françaises parties rejoindre Daesh veulent rentrer en France pour être jugées
TEMOIGNAGE•Capturées par les Kurdes en Syrie, ces deux jeunes Françaises espèrent pouvoir rentrer avec leurs enfantsJ.C. avec AFP
Chloé et Chaïma, deux Françaises ayant rejoint Daesh dans l’Est de la Syrie avant d’être capturées par les Kurdes, souhaitent revenir en France pour y être jugées de façon équitable, mais sans abandonner leur islam rigoriste.
Cachées derrière un long niqab qui ne laisse paraître que leurs yeux, les deux jeunes femmes, dont les noms ont été modifiés, sont retenues dans le camp de déplacés d’Al-Hol, province de Hassaké (Nord-Est) par les Kurdes, avec leurs trois enfants. Comme les quelque 500 autres étrangères qui y sont arrivées ces derniers mois, elles sont surveillées de près. Capturées dans les derniers villages tenus par Daesh, elles sont soupçonnées d’en avoir conservé l’idéologie radicale et violemment anti-occidentale.
Enfuie avec un passeur
Chloé, 29 ans et originaire de la région lyonnaise, tient à faire passer un message, son regard bleu vif planté dans celui de ses interlocuteurs : « On n’est pas des animaux. On est des êtres humains. On a un cœur, on a une âme, voilà ». Chacune sait qu’en France, le gouvernement hésite à rapatrier les femmes et enfants de djihadistes, un sujet sensible dans un pays encore profondément marqué par les attentats, avec un regard encore plus suspicieux sur celles et ceux qui ont accompagné Daesh jusque dans ses derniers retranchements.
« On n’était pas d’accord » avec les combattants de Daesh, affirme Chaïma, la trentaine, qui a pris la fuite il y a une quinzaine de jours avec son mari et ses enfants pour se rendre aux forces kurdes. « On pouvait rien dire, on devait se taire », dit-elle, la voix teintée d’un léger accent du sud. Chloé, à l’unisson : « Les combattants de l’EI [groupe Etat Islamique, autre nom de Daesh] nous faisaient peur, ils nous disaient "On va vous égorger, vous violer" ». Elle dit s’être enfuie avec l’aide d’un passeur, pour 50 dollars (44 euros).
« C’est pas demain que j’irai tuer quelqu’un »
Chaïma dit vouloir rentrer en France, pour sa famille notamment. Chloé également, mais à une condition : qu’elle puisse y « vivre [son] islam en toute liberté, et près de [ses] enfants ». La voix soudain plus lasse, elle raconte avoir perdu il y a un an et demi deux filles de deux ans et demi et six ans dans un bombardement. Mais aucun esprit de vengeance, assure-t-elle : « On m’a tué des enfants, c’est pas demain que j’irai tuer quelqu’un ».
Quelle part de vérité accorder aux récits des deux Françaises ? Ils fourmillent de détails invérifiables sur leurs parcours, leurs mariages, leur vie décrite comme pacifique avec leurs maris employés dans le civil, un classique chez les prisonnières de Daesh. Un récit hétéroclite où elles expriment leur déception vis-à-vis de Daesh, d’abord vu comme idéal mais qui a fini par « exécuter beaucoup de personnes pour rien, sans preuve, même des musulmans », selon Chloé. Elles se gardent aussi de condamner en bloc les attentats de 2015 à Paris. « Les gens qui ont fait ça ont voulu se venger » des bombardements de la France en Syrie, explique la même.
Une peine de prison « aménageable »
Elles se disent aujourd’hui guidées par deux choses : l’attachement persistant à un islam rigoriste et la protection de leurs enfants. Elles redoutent déjà ce qui est prévu pour les enfants de djihadistes une fois rentrés en France. « Ils vont nous arracher nos enfants, les mettre dans des foyers ou familles d’accueil, ils vont être séparés les uns des autres et vont grandir [de façon] contraire à l’éducation qu’on veut leur donner », s’inquiète Chloé. « Et il y a beaucoup de choses en France qui sont contraires à notre religion, par exemple l’homosexualité, c’est interdit dans la religion ». Elles espèrent également, en cas de retour en France, écoper d’une peine assez légère. « J’espère qu’on sera jugés équitablement, au cas par cas, pas pour tout ce que le groupe a fait », dit Chloé.
Chaïma voudrait « une peine de prison pas trop longue, aménageable », qui lui permette de « profiter de [ses] enfants » car « c’est eux qui me restent », son mari ayant lui aussi été arrêté. Sans doute un vœu pieux : l’an dernier, une Française jugée à Paris pour avoir séjourné au printemps 2015 avec trois de ses enfants en Syrie où elle avait épousé un membre de Daesh, avait écopé de sept ans de prison.