ENQUETELes fantômes de l'île de Jersey

Les fantômes de l'île de Jersey

ENQUETELes restes d'au moins 5 enfants ont été retrouvés dans un ancien orphelinat…
Sandrine Cochard

Sandrine Cochard

Une enquête en eaux troubles. Les restes d’ossements découverts depuis février dans un pensionnat, sur l’île de Jersey, ont été authentifiés comme humains, jeudi. Selon la police, ils appartiennent à au moins cinq enfants. Retour sur une histoire digne d’un roman noir.


Les secrets enfouis d’un vieil orphelinat


Attouchements, viols, maltraitance… Que s’est-il véritablement passé entre les épais murs du pensionnat de Haut-de-la-Garenne, grande bâtisse victorienne en pierre de taille établie au XIXe siècle sur la petite île de Jersey, au large des côtes françaises?


En 2006, environ 140 anciens pensionnaires affirment avoir été victimes d’abus. La plupart auraient eu lieu dans les années 1970-80, mais certains remonteraient aux années 1940. A cette époque, le manoir abrite depuis 1867 une école pour élèves difficiles ou issus de la classe ouvrière. Les coups pleuvent sur des enfants à peine adolescents. «Ils étaient cognés à la tête lorsqu’ils ne se tenaient pas droit et régulièrement fouettés», affirme un sénateur de l’île, Stuart Syvret, dans le «Guardian», citant les récits de deux hommes, aujourd’hui âgés de 50 à 60 ans.


Crâne d'enfant


Une enquête est ouverte en novembre 2006. La bâtisse, rendue célèbre par la série policière britannique «Bergerac» qui y a été tournée et reconvertie en auberge de jeunesse depuis 2004, est fouillée. Construite en forme de carré, Haut-de-la-Garenne abrite une cour intérieure fermée et des caves murées qui ne vont pas tarder à livrer leurs premiers secrets.


Le 23 février, près d’une semaine après le début des fouilles, les enquêteurs percent une cave murée, remplie de pierres, d'argile et de gravats, qui ne figurait pas sur les plans officiels de l'établissement. Ils y découvrent une grande baignoire en béton marquée par deux taches de sang et le crâne d’un enfant. D’autres corps enfouis suivront. Jersey entame alors l’exhumation de ses vieux démons.


Restes humains


En tout, quatre caves murées sont sondées, semblant corroborer des témoignages de victimes évoquant des chambres de torture secrètes. Plusieurs objets tachés de sang, des fragments d'os et une soixantaine de dents de lait sont découverts. Selon des experts de la police, les victimes, dont les corps ont été soigneusement brûlés, devaient être âgées entre 4 ans et 11 ans. La presse évoque également la présence de chaînes, une information non confirmée officiellement. On pense à «The Magdalene sisters», film choc sur les maltraitances subies par des adolescentes dans un couvent en forme d’asile, dans l’Irlande des années 1960.


Au cours de l’enquête, 40 suspects sont entendus, parmi lesquels des personnes haut placées du pensionnat. Des dizaines de personnes sont soupçonnées d'avoir commis abus sexuels et violences dans les murs du pensionnat. Quatre hommes, dont un membre du personnel du manoir, un surveillant à la retraite âgé de 76 ans, sont interpellés. L’un d’eux, un officier de police de 50 ans, sera relâché.


Morts mystérieuses


Mais la vaste enquête entreprise depuis bientôt deux ans pourrait s’achever sur un cul-de-sac. Lenny Harper, le policier chargé du dossier, a reconnu jeudi que ses experts rencontraient des difficultés pour dater la mort de ces enfants. Ce qui pourrait empêcher l'ouverture d'une procédure judiciaire pour meurtres.


«Au bout du compte, il est possible qu'il n'y ait pas suffisamment de preuves pour enclencher une enquête pour meurtres et tenter de traduire quiconque devant la justice pour un quelconque crime commis ici», a-t-il déclaré. Le pensionnat de Haut-de-la-Garenne apparaîtrait alors comme un ultime pied de nez aux suppliciés.