Elections au Brésil: «Il existe un risque que Bolsonaro opère un virage autoritaire»
INTERVIEW•La victoire de Jair Bolsonaro à la présidentielle brésilienne plonge le pays dans l'inconnu selon Frédéric Louault, professeur à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste du Brésil...Propos recueillis par Laure Cometti
Le « mythe » est devenu réalité. Surnommé ainsi par ses soutiens, Jair Bolsonaro a remporté l’élection présidentielle au Brésil, avec 55% des voix au second tour dimanche. Son arrivée au pouvoir suscite de nombreuses craintes au regard de ses déclarations racistes, misogynes, homophobes et anti-démocratiques au fil de la campagne. 20 Minutes a interrogé Frédéric Louault, professeur à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste du Brésil, au sujet de l’ascension fulgurante du candidat d’extrême droite et de ses futures marges de manoeuvre en tant que président.
Quels facteurs ont contribué à la victoire de Jair Bolsonaro ?
Le Brésil est dans un contexte de crise économique et politique assez profonde. L’émergence d’une figure d’extrême-droite est liée à la défiance envers les élites traditionnelles, notamment les deux partis qui se sont partagé le pouvoir ces 30 dernières années, le Parti des travailleurs (PT), à gauche, et le parti de droite. Mais Bolsonaro, s’il se présente comme un outsider, n’en est pas un : il a été député [pendant 27 ans].
Par ailleurs, deux grands facteurs ont favorisé l’émergence de Bolsonaro, les problèmes de corruption et de sécurité. Ce sont les deux bases de son programme. Lui qui a été moins directement touché par les scandales de corruption a réussi à capter la déception de la population et à amplifier le rejet du PT. Ce parti était arrivé au pouvoir en prônant la moralisation de la vie politique mais il a été absorbé par le système politique brésilien et rattrapé par des scandales de corruption. Il a donc perdu son crédit sur ce sujet. Une partie de l’électorat était inquiète du retour du PT et a voté utile, vers l’extrême droite, car le parti de droite n’était plus en jeu.
Rappelons également que les deux institutions les plus appréciées de la population sont l’armée et l’Eglise, et les plus détestées sont les partis et le Congrès, selon les enquêtes d’opinion.
Quelles craintes sont suscitées par son arrivée au pouvoir ? Sont-elles justifiées ?
Les contours de son programme sont flous : Bolsonaro a été élu presque sans faire campagne. Après avoir été poignardé, il est resté en retrait de la campagne pendant un mois. Il a aussi refusé de participer à tous les débats. Maintenant qu’il est au pouvoir, il est difficile de savoir ce qu’il va faire exactement. Sur l’économie, il assume de ne rien y connaître.
Le plus inquiétant, c’est la dimension violente de son projet de gouvernance. Bolsonaro l’a exprimé à plusieurs reprises, il méprise la démocratie et ses institutions, il fait très peu de cas des droits de l’homme et des droits des minorités et il a une vision très brutale de la résolution des conflits politiques.
La grande question est : les institutions brésiliennes vont-elles parvenir à canaliser cette tendance ? Ou bien Bolsonaro va-t-il s’en affranchir ? Les deux principaux risques sont qu’il opère un virage autoritaire, avec le soutien de militaires qu’il va faire entrer au gouvernement [son vice-président Hamilton Mourao est un ancien général, défenseur de la dictature militaire qui a duré de 1964 à 1985], ou qu’il finisse par se faire dépasser l’armée.
Par ailleurs, il y a un risque de dérives violentes. Bolsonaro et sa base active de militants ont joué sur un registre très violent pendant la campagne. Une partie de la société brésilienne souscrit à ce discours.
Bolsonaro sera-t-il libre de mettre en œuvre ses idées et son programme ?
Au Brésil, le président élu doit former une coalition avec les forces présentes au Congrès [composé de 2 chambres], en vue de composer son gouvernement. C’est ce qu’on appelle le présidentialisme de coalition. Le Congrès penche du côté conservateur (à un peu plus de 50 % des sièges), mais il est très fragmenté, c’est une alliance assez hétérogène. Certains groupes vont soutenir Bolsonaro sur un sujet, mais pas sur un autre. Si les parlementaires se mettent d’accord, ils peuvent bloquer des projets de réformes. Vu sa composition actuelle, Bolsonaro aura vraisemblablement une courte majorité sur certaines de ses réformes et pourra donc faire passer des lois. Mais pour modifier la Constitution, il lui faudra le soutien de trois cinquième des parlementaires.
Malgré ces contre-pouvoirs, on ne peut pas sous-estimer de potentielles dérives autoritaires. En cas de crise, il peut prendre des mesures provisoires ou donner les pleins pouvoirs à l’armée. Toutefois, on est moins dans une rupture que dans une accélération et une amplification de la militarisation de la vie politique brésilienne. La sécurité de Rio de Janeiro a été confiée à l'armée en février dernier.