ETATS-UNISLa tuerie de Pittsburgh, preuve d'une poussée de l'antisémitisme?

VIDEO. Fusillade à Pittsburgh: L'antisémitisme est-il en train d'exploser dans les Etats-Unis de Trump?

ETATS-UNISAprès la tuerie de Pittsburgh, où un suprémaciste blanc a tiré dans une synagogue, faisant onze morts, la question de l'augmentation des actes antisémites aux Etats-Unis préoccupe...
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Samedi 27 octobre, la pire attaque antisémite aux Etats-Unis a fait onze morts à Pittsburgh en Pennsylvanie.
  • La principale association de lutte contre l'antisémitisme alerte sur une augmentation importante des actes antisémites depuis 2016.
  • Date de l'élection de Donald Trump, aux relations troubles avec l'extrême droite. Constat qui pousse à se demande si Donald Trump a une responsabilité dans cette résurgence de l'antisémitisme.

Onze morts et six blessés. C’est le terrible bilan de l’attaque de la synagogue de Pittsburgh, samedi 27 octobre 2018. « Probablement l’attaque la plus meurtrière contre la communauté juive de l’histoire des Etats-Unis », a estimé Jonathan Greenblatt, le directeur de l’Anti-Defamation League (ADL), principale association de lutte contre l’antisémitisme du pays. Signe que les actes antisémites connaissent une poussée inquiétante depuis quelques années ? L’élection de Trump a-t-elle banalisé les thèses antisémites ?

Les chiffres montrent une poussée de l’antisémitisme

« Selon l’ADL, il y a bien une recrudescence des actes antisémites », avance Elsa Devienne, maîtresse de conférence en histoire et études américaines à l’université Paris Nanterre. En effet, selon l’ADL, les actes antisémites ont augmenté de 57 % entre 2016 et 2017. « En 2017, les statistiques de l’ADL montrent une très forte hausse des menaces antisémites notamment dans le milieu universitaire, reprend Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite. Des chiffres à prendre avec précaution, car ils amalgament des actes mortels et des lettres de menaces. »

En revanche, la fusillade de Pittburgh fera date dans l’histoire des Etats-Unis. « C’est l’attentat antisémite le plus meurtrier et la première fois qu’on s’en prend à une synagogue », souligne Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin et auteur de La Fin du rêve américain ?

« Mais? plus globalement, on constate une détérioration générale des relations interethniques et interreligieuses depuis l’élection de Trump », ajoute Jean-Yves Camus.

Quelle est la responsabilité de Trump dans cette augmentation ?

Donald Trump devant la presse le 28 octobre 2018 après la fussillade à Pittsburgh
Donald Trump devant la presse le 28 octobre 2018 après la fussillade à Pittsburgh - Alex Edelman / AFP

Justement, beaucoup de médias et spécialistes des Etats-Unis pointent la responsabilité Donald Trump, aux relations troubles avec l’extrême droite, dans cette résurgence. « En réalité, l’augmentation des actes antisémites date de 2014, avant même le début de sa campagne, nuance Lauric Henneton. Un graphique de l’ADL montre qu’il y a un pic d’actes antisémites en novembre 2016, qui se poursuit début 2017, mais qui depuis baisse. »

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

« Pour moi, l’élection de Trump est un catalyseur mais pas la cause de cette poussée de l’antisémitisme, résume de spécialiste des religions aux Etats-Unis. Il a un niveau de responsabilité dans la mesure où son discours fait écho à des thèses qui préexistent. Des antisémites aux Etats-Unis, il y en a eu avant et il y en aura après Trump. Mais les discours du président les ont encouragés à donner de la voix, notamment sur les réseaux sociaux. »

Par ailleurs, le président américain se montre frileux quand il s’agit de dénoncer la violence des groupuscules d’extrême droite. « Lors des violences à Charlottesville en Virginie, des néonazis défilent avec des croix gammées et chantent "les juifs ne nous remplaceront pas", rappelle l’historienne des Etats-Unis. Or, cette manifestation n’a pas été condamnée de manière claire par Trump. »

Enfin, le président s’appuie dans ses discours sur une rhétorique agressive, anti-migrants, mais aussi sur des messages codés. « Dans la politique, dès lors qu’on parle d’étrangers, de gens sans nation, cela fait référence à des stéréotypes juifs, reprend Elsa Devienne. On parle ainsi de "dog whistling", un sifflement que seuls les chiens entendent. C’est-à-dire qu’on n’utilise pas un mot antisémite ou raciste, mais un message codé : ceux qui savent comprennent. »

Est-ce à dire que Donald Trump a facilité un passage à l’acte comme la tuerie de samedi dernier ? « D’après les indices que nous avons, il s’agit d’un supémaciste blanc convaincu par une théorie du complot juif et qui trouve Trump trop modéré, nuance Jean-Yves Camus. Or, cette mouvance des suprémacistes blancs est bien antérieure à Trump, elle émerge au milieu des années 1980. »

« Ce qu’on retrouve chez les racistes et les antisémites qui passent à l’acte, c’est la peur d’une forme de remplacement, analyse Lauric Henneton. Ce qui est vrai, c’est que la population blanche aux Etats-Unis devient minoritaire dans les naissances. Mais ce constat génère un discours de "white genocide", une angoisse démographique. Le tueur de Pittsburgh avait clairement la conviction que les Américains de souche -quoi que cela veuille dire d’ailleurs !- sont en train d’être éradiqués. ».

Un antisémitisme pas récent…

Cette augmentation du nombre d’actes antisémites s’inscrit dans une histoire bien plus longue… En effet, le XXe siècle a été marqué par divers épisodes de violences envers les juifs aux Etats-Unis. Juste avant la Première Guerre Mondiale, à une époque d’immigration massive, « on réduit l’immigration d’Europe de l’Est et du Sud pour privilégier les migrants qui viennent d’Angleterre et d’Allemagne, explique Elsa Devienne. On l’a parfois oublié, mais il y a eu des lynchages de juifs. Dans les années 1910, on voit aussi l’émergence de la deuxième vague du Klu Klux Klan : avec un mouvement non seulement anti-noirs, mais aussi anti-juifs et anti-catholiques. »

Si pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Etats-Unis refusent des visas à des juifs fuyant l’Europe nazie, les années 1950 marquent un véritable tournant. « Les juifs américains vont avoir la possibilité de s’assimiler dans un contexte post-Holocauste, souligne la maîtresse de conférence. Certains historiens disent même que "les juifs deviennent blancs " ». Un processus que Lauric Henneton explique ainsi : « protestants, catholiques et juifs se retrouvent sous la bannière croyants contre les bolcheviques athées ».

…mais toujours présent

Il est étonnant de voir que 54 % des crimes religieux visaient en 2016 des juifs, de loin la minorité la plus ciblée, dans un pays où on peut avoir l’impression qu’elle est bien intégrée, éduquée, a du pouvoir… « Les formes d’ostracisme qui existaient dans les années 1960 ont disparu : aujourd’hui vous pouvez trouver un emploi, avoir des loisirs quand vous êtes juifs aux Etats-Unis », assure Jean-Yves Camus. « C’est paradoxal, mais en dépit du caractère fortement assimilé, les juifs américains peuvent toujours être ramenés à leur condition de juif, tranche Elsa Devienne. Il reste un fort fond d’antisémitisme dans la société américaine, on l’a vu pendant la dernière campagne présidentielle : Bernie Sanders était attaqué notamment sur le fait qu’il était juif. »

Plus récemment, et notamment pendant la campagne des midterms, la vie politique a connu des regains d’antisémitisme. « Certains estiment que les Républicains, qui sont en difficulté pour les midterms, vont tomber dans un antisémitisme codé, reprend Elsa Devienne. Les réseaux sociaux ont ainsi repéré le tweet du chef de majorité républicaine à la chambre des Représentants Kevin Mccarthy, qui mardi dernier écrivait : « on ne peut pas laisser George Soros, Tom Steyer and Michael Bloomberg acheter cette élection », or ce sont trois juifs qui soutiennent les Démocrates. Cela fait référence au stéréotype du juif de la finance, riche, qui tire les ficelles dans l’ombre. » Un tweet depuis effacé.

A lire aussi :