Torture, perquisitions, conséquences... Que sait-on de la disparition de Jamal Khashoggi?
ENQUETE•Le journaliste saoudien aurait été torturé avant d'être décapité...A.B.
L'essentiel
- Disparu début octobre à Istanbul, le journaliste saoudien aurait été tué au consulat saoudien d’Istanbul, en Turquie.
- Jamal Khashoggi aurait été torturé avant d’être décapité.
- Allié de l’Arabie saoudite, le président américain Donald Trump aborde l’affaire avec beaucoup de précautions.
Deux semaines après la disparition de Jamal Khashoggi, journaliste saoudien critique du pouvoir, la lumière commence doucement à être faite sur le déroulé des événements macabres. Disparu depuis le 2 octobre dernier après s’être rendu au consulat saoudien d’Istanbul en Turquie, le journaliste y aurait en réalité été torturé et assassiné, selon un quotidien turc.
Depuis sa disparition, des soupçons d’assassinat pèsent sur Ryad, qui a d’abord nié toute implication avant d’assurer qu’une enquête complète et transparente serait menée. Qu’est-il arrivé au journaliste ? Où en est l’enquête et quelles seront les conséquences de cette affaire pour Ryad ? 20 Minutes fait le point sur ce dossier.
Qu’est-il arrivé à Jamal Khashoggi après son entrée dans le consulat ?
Selon le quotidien turc Yeni Safak, qui affirme ce mercredi avoir eu accès à un enregistrement sonore des faits, le journaliste saoudien Jamal Khashoggi a été torturé au cours d’un interrogatoire et ses doigts ont été coupés par des agents saoudiens, avant d’être « décapité » dans le consulat de son pays à Istanbul, où l’éditorialiste critique de Ryad s’était rendu le 2 octobre pour des démarches administratives en vue de son mariage. Il n’a pas été vu depuis.
Le quotidien progouvernemental, qui ne précise pas comment il a eu accès à ces enregistrements, rapporte que le consul saoudien Mohammad Al-Otaibi peut être entendu sur l’un des enregistrements, disant : « Faites ça dehors, vous allez m’attirer des problèmes. » Ce dernier a quitté Istanbul mardi.
Des responsables turcs ont accusé Ryad d’avoir fait assassiner le journaliste par une équipe spécialement envoyée sur place, mais les autorités saoudiennes ont démenti. Certains médias, dont le Washington Post, pour lequel écrivait Jamal Khashoggi, avaient auparavant rapporté l’existence d’enregistrements audio et vidéo prouvant que le journaliste avait été « interrogé, torturé puis tué » à l’intérieur du consulat, avant que son corps ne soit démembré. Un médecin légiste, identifié comme Salah al-Tubaigy et qui faisait partie de la quinzaine de Saoudiens dépêchés par Ryad à Istanbul ce jour-là selon plusieurs médias, a ensuite commencé à découper le corps de Jamal Khashoggi encore vivant, d’après la source de Middle East Eye.
Où en sont les investigations ?
Ryad a d’abord fermement démenti la thèse de l’assassinat, assurant que Jamal Khashoggi avait bien quitté le consulat. Sous la pression du G7 et de l’allié américain, qui réclamait «une enquête crédible et transparente », le royaume a consenti à mener des investigations complètes. Les dirigeants saoudiens « ont promis de demander des comptes à chacune des personnes dont leur enquête aura montré qu’elle doit rendre des comptes », a déclaré le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, envoyé à Ryad pour désamorcer le dossier.
Mercredi, des policiers turcs ont commencé à fouiller la résidence du consul d’Arabie saoudite à Istanbul, qui selon les médias turcs était présent au consulat quand l’assassinat supposé de Khashoggi a eu lieu. Mardi, c’est le consulat qui était fouillé par les enquêteurs turcs. Une fouille sans précédent d’une durée de huit heures et effectuée de nuit, par les membres de l’équipe turque, accompagnés pendant leur perquisition par une délégation saoudienne. Ils ont emporté des échantillons, notamment de la terre du jardin du consulat, a déclaré un responsable présent sur place.
Selon CNN, l’Arabie saoudite envisage de reconnaître que Jamal Khashoggi est mort lors d’un interrogatoire qui aurait mal tourné au consulat à Istanbul. Et pour le Wall Street Journal, cela permettrait à la famille royale de « se dédouaner d’une implication directe » dans l’éventuel décès de Jamal Khashoggi. Mais selon le New York Times, l’un des hommes identifiés comme faisant partie des responsables de la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi appartient à l’entourage du prince héritier.
Le président des Etats-Unis Donald Trump a indiqué mardi avoir parlé au prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane qui lui a promis une enquête « complète » sur la disparition du journaliste saoudien. « Je viens de parler avec le prince héritier d’Arabie saoudite qui a fermement nié toute connaissance de ce qui s’est passé dans le consulat en Turquie », a-t-il tweeté. « Il m’a dit qu’il avait déjà lancé, et allait rapidement étendre, une enquête complète et approfondie », a-t-il ajouté.
Quelle est la position des Etats-Unis sur ce dossier ?
Samedi, Donald Trump, un grand allié de l’Arabie saoudite, a pour la première fois estimé possible l’implication de Ryad dans la disparition de Jamal Khashoggi, entré le 2 octobre dans le consulat de son pays à Istanbul pour ne plus réapparaître depuis. Si Ryad est responsable, il y aura «un châtiment sévère », avait-il averti, déclenchant l’ire du royaume. "Nous rejetons entièrement toute menace ou tentative d’affaiblir (le royaume), que ce soit via des menaces d’imposer des sanctions économiques ou l’usage de pression politique", a indiqué un haut responsable saoudien non identifié, cité par l’agence de presse saoudienne SPA.
Ne voulant pas froisser un partenaire économique privilégié, le président américain Donald Trump a évoqué lundi la possibilité que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, porté disparu depuis qu’il s’est rendu au consulat saoudien à Istanbul, ait été tué par « des éléments incontrôlables ». « Le roi (d’Arabie saoudite) a fermement nié avoir connaissance de quoi que ce soit (…) Je ne veux pas spéculer à sa place mais il m’a semblé que, peut-être, cela pourrait être le fait d’éléments incontrôlables. Qui sait ? »
Le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane a déclaré mardi en recevant le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo que Ryad et Washington étaient « des alliés forts et anciens ». « Nous faisons face aux défis ensemble, que ce soit dans le passé, aujourd’hui ou demain », a ajouté le prince, alors que les deux hommes exhibaient un large sourire.
Quelles conséquences cette affaire peut-elle avoir pour l’Arabie saoudite ?
Cette disparition au retentissement planétaire pourrait avoir un impact significatif sur le programme de réformes, surtout économiques, mises en avant par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Dimanche, la Bourse de Ryad a accusé une baisse de plus de 7 %, sa plus grave dégringolade en trois ans, avant de terminer la séance à -3,5 %.
Et les conséquences économiques de ce scandale pourraient être lourdes pour le royaume, qui organise dans quelques jours le « Future Investment Initiative », un grand raout servant de vitrine aux réformes économiques lancées par le prince héritier. Or, la liste des entreprises et personnalités annulant leur venue cette grande conférence économique organisée à Ryad s’allonge. Ont ainsi annulé leur participation Christine Lagarde, directrice du Fonds monétaire international (FMI), la banque HSBC, Bill Ford, le président exécutif de Ford, Richard Branson, milliardaire britannique fondateur du groupe Virgin, Ariana Huffington, patronne de « Thrive Global », ou encore plusieurs groupes de médias (CNN, Bloomberg, The Economist, The New York Times, CNBC ou encore le Financial Times…).
Mais le royaume peut toutefois compter sur le soutien du président américain. Donald Trump a souligné mercredi que les Etats-Unis avaient besoin de l’Arabie saoudite dans la lutte contre le terrorisme, insistant par ailleurs longuement sur l’importance pour l’économie américaine des contrats d’armement conclus avec Ryad. Souhaite-t-il prendre ses distances avec le royaume sunnite, allié de longue date des Etats-Unis ? « Non, je ne le souhaite pas et, franchement, nous avons un énorme contrat (d’armement) de 110 milliards », a-t-il répondu. « Des sénateurs viennent me voir et me disent que nous ne devrions pas prendre ce contrat. Mais à qui allons-nous faire du mal ? Cela représente 500.000 emplois », a-t-il affirmé. Le leader américain a toutefois nié mercredi être en train de « couvrir » ses alliés saoudiens dans l’affaire de la disparition de Jamal Khashoggi.