INTERVIEW«Trump a été dans une position de soumission face à Poutine»

Sommet d'Helsinki: «On a vu une soumission, une vassalisation de Trump» face à Poutine

INTERVIEWLe spécialiste des Etats-Unis Corentin Sellin revient pour « 20 Minutes » sur l’attitude de Donald Trump lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine…
Laure Cometti

Propos recueillis par Laure Cometti

Les propos de Donald Trump sur l’éventuelle ingérence russe lors de l’élection présidentielle de 2016 ont provoqué un coup de tonnerre outre-Atlantique. Lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine à Helsinki, le président américain a indiqué croire davantage aux dénégations de son homologue russe qu’aux rapports établis par les services de renseignements de son pays.

Ces déclarations faites lors d’une conférence de presse commune ont suscité de très virulentes critiques, même au sein de l’entourage du président des Etats-Unis. 20 Minutes revient sur cette séquence diplomatique et politique avec Corentin Sellin, agrégé d’histoire, professeur en classe préparatoire et spécialiste des Etats-Unis*.

Les propos de Donald Trump sur l’ingérence russe dans l’élection de 2016 sont-ils si nouveaux ?

Ils étaient prévisibles car Donald Trump avait déjà tenu de tels propos et indiqué ses doutes sur le rapport des renseignements concluant à l’ingérence de la Russie dans l’élection, au premier semestre 2017. Mais ce qui était peu prévisible, c’est qu’il a remis en cause le travail des renseignements américains devant Vladimir Poutine, et en terre étrangère. Cela montre qu’il a franchi un seuil, une étape.

Pourquoi cette prise de position du président américain choque autant aux Etats-Unis, même ses alliés Républicains ?

Cela choque les Républicains qui ne peuvent désormais plus ignorer la position de Donald Trump, qui a dit devant des caméras, et face à Vladimir Poutine, qu’il fait davantage confiance au président russe qu’à la justice et la police de son pays. Or, le parti des Républicains est le parti de la loi et de l’ordre. Pour eux, voir un président des Etats-Unis faire moins confiance aux institutions qu’à un dirigeant étranger, cela pose un énorme problème. D’autant plus qu’avant l’élection de Trump, les Républicains étaient en opposition avec la Russie de Poutine. Leurs critiques reflètent aussi ce malaise.

Ce tollé suscité par Trump chez les Républicains peut-il lui coûter quelque chose politiquement ?

Non, au-delà des protestations verbales symboliques, il ne devrait rien se passer concrètement, pour trois raisons. D’abord, Trump est aujourd’hui bien plus proche de l’électorat républicain que ne le sont les élus du parti au Congrès (élus en 2012, 2014 et 2016). La preuve, c’est que selon l’institut de sondages américain Gallup, en 2014 22 % des sympathisants républicains sondés jugeait la Russie comme étant une amie ou un allié, mais ils sont 40 % aujourd’hui. L’électorat républicain, sans doute sous l’effet de Trump, s’est radouci envers la Russie.

Deuxièmement, que pourraient faire les Républicains ? Les institutions américaines permettent au président des Etats-Unis de faire à peu près ce qu’il veut en politique étrangère. Un impeachment ou une motion de censure sont hautement improbables. D’autant que les élus sont en pleine campagne électorale des mid-terms, ils n’ont pas d’intérêt à aller contre le président.

Enfin, il faut se souvenir que les Républicains ont passé un pacte faustien avec Trump. La plupart des élus y sont allés avec des pincettes, en se bouchant le nez, mais Trump leur a apporté la Maison Blanche, de manière inespérée, et il a exécuté l’agenda économique et social des conservateurs : baisse d’impôts, nomination de deux juges conservateurs à la Cour suprême… Cela vaut bien un Helsinki.

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Ce sommet marque-t-il un tournant dans les relations entre Washington et Moscou ?

Trump n’a jamais fait mystère de sa volonté d’un « reboot », un redémarrage dans les échanges avec la Russie. Sauf qu’à Helsinki on a plutôt vu une soumission, une vassalisation du président américain. Pour Poutine, dont le pays est sous le coup de fortes sanctions à la fois américaines et européennes, c’est une victoire diplomatique et symbolique importante.

C’est tout de même très étrange, pour un président dont l’entourage est sous le coup d’enquêtes fédérales pour une collusion avec la Russie, de donner autant de gages éventuels de quelque chose de trouble dans son lien avec Poutine. Selon le Washington Post, il y a aussi un problème interne à la Maison Blanche, car Trump n’a pas suivi les recommandations de ses conseillers.

Par ailleurs, sur le fond, les deux dirigeants n’ont pas annoncé grand-chose à l’issue de leur tête à tête de 2 heures et de leur entretien avec leurs conseillers d’une heure. Ils ont relancé l’idée d’un groupe commun de cybersécurité, mais c’est tout. En dépit de cette volonté affichée d’un nouveau départ, comme avec la Corée du Nord d’ailleurs, il n’y a aucune matière pour l’instant. Le seul dossier sur lequel ils ont insisté, c’est le désarmement nucléaire et la lutte contre la prolifération nucléaire. Mais Poutine a réitéré à Helsinki son soutien à l’Iran, à l’encontre de la position de Trump.

* Coauteur de Les Etats-Unis et le monde de la doctrine de Monroe à la création de l’ONU : (1823-1945) (Ed. Atlande).