Cour suprême: Avec la retraite d'un juge modéré, le droit à l'avortement pourrait être menacé
ETATS-UNIS•Donald Trump va pouvoir nommer un nouveau juge conservateur...Philippe Berry
«Anthony Kennedy part à la retraite. L’avortement sera illégal dans 20 Etats dans dix-huit mois. » C’est la prédiction alarmiste de l’analyste juridique Jeffrey Toobin, auteur du livre sur la Cour suprême The Nine. S’il s’avance, de nombreux démocrates, ainsi que New York Times, tirent eux aussi la sonnette d’alarme.
Avec le départ d’Anthony Kennedy, un centriste qui a voté plusieurs fois avec les libéraux, Donald Trump va pouvoir nommer un second juge conservateur en moins de deux ans. Et avec une Cour suprême penchant désormais à droite, le droit à l’avortement et le mariage gay pourraient en faire les frais.
Celui qui faisait pencher la balance
Nommé par Ronald Reagan, Anthony Kennedy a souvent été le vote décisif qui a fait pencher la balance dans un sens ou l’autre. En 1992, il réaffirme l’arrêt de 1973 Roe V. Wade, qui a légalisé l’avortement dans tout le pays comme droit constitutionnel. En 2000, il vote pour mettre un terme au recomptage des voix en Floride et ainsi valider l’élection de George W. Bush. Et en 2013, c’est lui qui rédige la décision de la majorité autorisant le mariage gay.
De nombreux observateurs pensaient que Kennedy, qui va avoir 82 ans le mois prochain, attendrait la fin du mandat de Donald Trump avant de raccrocher la robe. Le président américain s’est dit « honoré » de ce signe de confiance qui va lui permettre de nommer un nouveau juge. Ce dernier sera amené à siéger plusieurs décennies à la Cour, et pourra ainsi affecter la politique américaine sur le long terme.
Donald Trump veut un juge « pro-life »
Pendant la campagne, Donald Trump a répété qu’il choisirait des juges « pro-life » (anti-avortement). Il a déjà tenu parole avec le conservateur Neil Gorsuch, confirmé l’an dernier. Et il n’a pas perdu de temps en publiant une shortlist de 25 noms pour succéder à Kennedy. Mais avec une majorité de seulement deux voix au Sénat, sa marge de manœuvre est limitée, d’autant plus que deux élues républicaines, Susan Collins et Lisa Murkowski, défendent le droit à l’avortement.
La cour suprême ne pourrait toutefois pas agir immédiatement. Elle devrait attendre qu’une loi d’un Etat tentant de limiter ou d’interdire l’avortement remonte jusqu’à elle, ce qui peut prendre plusieurs années. Certains sont déjà prêts, comme l’Iowa qui a voté une loi « battement de cœur » interdisant l’avortement après la détection des premières pulsations cardiaque (qui sont souvent détectées autour de six ou sept semaines). Le recours déposé pourrait emporter l’affaire jusqu’à la Cour suprême.
L’avortement interdit dans la moitié du pays ?
Tous les yeux seraient alors braqués sur le chef de la Cour, John Roberts. Nommé par George Bush, il se trouve souvent dans le camp des conservateurs. Mais il a déclaré par le passé que la décision Roe V. Wade était selon lui « the law of the land » (« la loi du pays ») et qu’il n’aimait pas, en général, revenir sur des précédents déjà tranchés.
Si Roe V. Wade était annulé, une vingtaine d’Etats conservateurs voteraient sans doute pour interdire complètement l’avortement, selon un rapport du Centre pour les droits reproductifs. Une femme vivant au Texas ou dans l’Oklahoma serait alors obligée de faire plusieurs centaines de kilomètres pour se rendre dans un Etat où l’avortement est légal.
Le droit à l’avortement n’est pas la seule question de société qui pourrait se retrouver sur la sellette. Le mariage homosexuel, la discrimination positive ou encore les droits des syndicats pourraient tous être attaqués par une Cour conservatrice. Les démocrates surveillent plus que jamais la santé de la juge libérale Ruth Bader Ginsburg, âgée de 85 ans. Si Donald Trump était amené à nommer un troisième juge d’ici la fin de son mandat, la Cour pencherait à droite par six voix contre trois, au moins pour les 15 ou 20 prochaines années.