Taxes américaines: Peut-on vraiment parler de guerre commerciale?
MONDIALISATION•Les taxes américaines sur l’acier et l’aluminium visant l'UE, le Mexique et le Canada, sont entrées en vigueur ce vendredi…Hélène Sergent
L'essentiel
- Les Etats-Unis, sous l’impulsion de Donald Trump, imposent désormais des droits de douane supplémentaires de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium en provenance de l’Union européenne, du Canada et du Mexique.
- Dans un communiqué publié ce vendredi matin, la France et l’Allemagne disent regretter « les décisions prises de manière unilatérale par les Etats-Unis ».
- Plus tôt, lors d’un échange téléphonique, Emmanuel Macron a dit à Donald Trump que sa décision était « illégale », « une erreur » et que l’UE riposterait « de manière ferme et proportionnée ».
- La Commission européenne a lancé sa première riposte en portant plainte ce vendredi à l'Organisation mondiale du commerce contre les Etats-Unis.
«FAIR TRADE ! ». En lettres capitales, le président américain a célébré à sa façon et sur son canal de communication préféré l’instauration de nouvelles taxes douanières. Si Donald Trump estime qu’il s’agit là d’un « commerce équitable », ses alliés ont dénoncé une « erreur », une « décision illégale » et « inacceptable ». Depuis ce vendredi, les Etats-Unis imposent des taxes de 25 % sur leurs importations d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium en provenance de l'Union européenne, du Canada et du Mexique.
aChacun leur tour, Emmanuel Macron puis la chancelière allemande Angela Merkel ont pourtant tenté de plaider la cause européenne à Washington lors de voyages officiels. En vain. Donald Trump s’est engagé auprès de son électorat à faire valoir la « sécurité nationale ». Observateurs et diplomates craignent désormais une « escalade » plongeant les puissances occidentales dans une « guerre commerciale » sans précédent.
- Peut-on parler de « guerre commerciale » ?
C’est le mot qui revient en boucle ce vendredi dans les médias du monde entier. Donald Trump vient-il pour autant de déclencher une nouvelle « guerre économique » ? Non, estime Maxime Combes, économiste et membre de l’organisation altermondialiste Attac. « C’est à ce stade un abus de langage. La décision américaine porte sur 5 millions de tonnes d’acier sur un marché qui pèse 1,7 milliard de tonnes. C’est une mesure symbolique pour parler à son électorat », nuance ce spécialiste du commerce international.
Si l’impact est à relativiser, la portée politique de cette décision reste inquiétante estime pour sa part Corinne Vadcar, analyste senior en commerce international à la CCI Paris Ile-de-France : « On est dans une guerre commerciale au sens où une mesure, décidée de façon unilatérale par les Etats-Unis, génère des contraintes économiques à l’égard de ses partenaires. En revanche, ce n’est pas inédit. Il y a eu des précédents notamment sous l’administration Bush ». Dans la matinée, la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini s’est elle voulue rassurante, affirmant que l’UE « n’est en guerre avec personne ».
- Quelles peuvent être les conséquences pour les consommateurs français ?
Sur ce point, les experts sont quasi unanimes. Les conséquences économiques pour les citoyens français et plus globalement européens sont minimes. « Les droits de douane sur l’acier et l’aluminium portent 5 à 6 milliards d’euros d’exportations de l’UE. Cela représente un montant faible », analyse Corinne Vadcar. « Les entreprises qui exportent beaucoup d’acier verront leurs capacités à entrer sur le marché américain un peu réduites. Mais l’impact industriel sera limité et les répercussions à terme, à ce stade, sont infinitésimales par rapport à l’ensemble du marché européen », abonde Maxime Combes.
- Y a-t-il un risque « d’escalade » ?
C’est la crainte majeure suscitée par l’instauration de ces nouvelles mesures. Dès jeudi soir, le Canada a annoncé qu’il allait à son tour imposer des taxes sur les produits américains pour un montant de 16,6 milliards de dollars canadiens. Le Mexique, également concerné par la politique protectionniste de Donald Trump, a fait savoir par la voix de son ministre de l’Economie qu’il allait mettre en place des taxes équivalentes sur « certains aciers, des fruits et des fromages », qui « seront en vigueur tant que le gouvernement américain n’éliminera pas les taxes imposées ».
L’Union Européenne de son côté a prôné « l’unité ». La diplomate Federica Mogherini a expliqué que « l’UE doit défendre ses intérêts » conformément aux règles dictées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour l’économiste d’Attac Maxime Combes, les pays européens pourraient se saisir de cette annonce pour faire évoluer leur politique économique : « La réponse adéquate serait de dire : Trump veut instaurer de nouvelles taxes pour protéger ses emplois, nous nous prenons des engagements sociaux, climatiques (…) et instaurons des taxes qui visent à limiter sur le marché européen les produits qui ont un fort impact écologique et social ».
- Quels sont les outils à disposition des Européens ?
Au-delà de la riposte verbale, les 28 pays de l’Union se sont entendus pour agir par la voie légale. Lors d’une conférence de presse organisée ce vendredi à Bruxelles, la Commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström a annoncé que l’UE portait plainte à l’OMC contre les Etats-Unis et la Chine. « Si les acteurs de ce monde ne respectent pas les règles, alors le système risque de s’effondrer. C’est pour cela que nous portons plainte aujourd’hui contre les Etats-Unis et la Chine devant l’OMC », a-t-elle déclaré.
En mars, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait également fait savoir que des mesures de rétorsion sur des entreprises dont « Harley-Davidson, le bourbon et Levi’s » étaient en préparation. Si les Etats-Unis veulent instaurer des barrières, « nous serons aussi stupides » qu’eux, avait-il lancé. Une logique dénoncée par Maxime Combes : « C’est totalement inapproprié et l’impact pour les Etats-Unis sera minimal. Aujourd’hui, l’alternative qui nous est présentée, c’est soit le protectionnisme nationaliste de Donald Trump, soit la poursuite de la libéralisation du marché avec le développement de traités bilatéraux comme le fait l’Europe. Or ce sont deux impasses ».
Une riposte d’autant plus inquiétante que les Etats-Unis ont laissé entendre qu’ils pouvaient instaurer d’autres taxes, souligne l’analyste Corinne Vadcar : « Donald Trump a demandé mi-mai à ses services de mener une enquête sur les importations automobiles. Il est possible qu’il décide d’imposer des taxes sur les voitures européennes. Dans ce cas, l’impact pourrait être beaucoup plus important, notamment pour l’Allemagne ».