Un alpiniste raconte l'extraordinaire sauvetage d'Elisabeth Revol sur le Nanga Parbat
SURVIE•L’alpiniste chevronné raconte son expédition sur « la montagne tueuse », alors qu’il tentait une ascension inédite du K2, le deuxième plus haut sommet du monde…20 Minutes avec AFP
L’alpiniste russo-polonais Denis Urubko a raconté lors d’une interview l’extraordinaire sauvetage d'Elisabeth Revol sur le Nanga Parbat au Pakistan en janvier dernier.
La Française Elisabeth Revol était bloquée à 6 000 mètres d’altitude, dans le blizzard. Avec son compagnon de cordée Tomek Mackiewicz, ils ont lancé un appel à l’aide en pleine ascension du Nanga Parbat, surnommé « la montagne tueuse ». Denis Urubko, accompagné d’Adam Bielecki, est parti à la recherche de ces deux alpinistes en difficulté. Les deux hommes étaient en train de tenter une ascension hivernale inédite du K2, le deuxième plus haut sommet au monde et avaient été héliportés l’après-midi même par l’armée pakistanaise sur le Nanga Parbat (8 126 m).
De graves hallucinations
A peine posés, ils ont gravi 1 000 mètres de dénivelé, de nuit, en huit heures à peine, s’aidant tantôt de leurs piolets, tantôt des cordes laissées par de précédentes expéditions. Puis ils ont entendu la Française. « C’était un incroyable miracle. On ne voyait rien. Il y avait une tempête de neige. J’étais tellement heureux », se rappelle Denis Urubko.
Mais quand ils aperçoivent Elisabeth Revol, celle-ci vient de passer deux nuits, sans tente, à plus de 6 000 mètres d’altitude. La veille, elle s'est séparée de Mackiewicz, qui souffrait de cécité des neiges et qui crachait du sang, un signe d’œdème, symptôme de mal aigu des montagnes. Exposée à des vents violents et des températures largement négatives, la Française a eu des hallucinations, aux graves conséquences. Pendant cinq heures, elle a imaginé qu’elle devait enlever l’une de ses chaussures en échange d’un thé. Ses extrémités ont gelé.
Denis Urubko, alors qu’il avance vers elle, remarque qu’elle ne porte plus que des gants fins et que ses mains ont commencé à blanchir. Il lui enfile alors ses propres gants pour sauver ses doigts. Ils montent aussitôt le camp et forcent Elisabeth Revol à s’hydrater et à prendre des médicaments. Puis, alors qu’ils attendent la fin de la nuit pour repartir, Urubko et Bielecki ont une terrible discussion. « Tomek (Mackiewicz) était quelque part plus haut. Nous ne savions que vaguement où il se trouvait. Avec Adam, nous ne savions pas quoi faire », observe-t-il.
Une légende de l’alpinisme
Fallait-il laisser la Française dans la tente et repartir à la recherche du Polonais, qui vivait alors probablement ses derniers moments, ou bien aider Elisabeth Revol à redescendre ? « Nous avons décidé de redescendre avec elle, parce que nous n’avions aucune chance d’aider Tomek, mais que nous étions sûrs qu’Elisabeth aurait 100 % de chances de survivre » à leurs côtés, alors qu’elle serait incapable de franchir certaines difficultés seule, explique-t-il.
A l’aube, les trois sont donc repartis, laissant Mackiewicz à son destin. Deux jours plus tôt, la Française avait déjà fait de même, une décision « imposée », qu’elle avait décrite comme « terrible et douloureuse », lors d’un entretien en février. Il leur a fallu cinq heures et demie pour atteindre le camp 1, d’où un hélicoptère les a évacués. Elisabeth Revol est ensuite repartie en France, via Islamabad. Urubko et Bielecki, eux, sont retournés sur les pentes du K2, où Bielecki a eu le nez cassé lors d’une avalanche. Pour l’alpiniste pakistanais Nazir Sabir, qui a conquis le K2 et l’Everest, Denis Urubko, l’un des rares hommes à avoir atteint les quatorze sommets à plus de 8 000 mètres, est « le plus remarquable himalayiste aujourd’hui ». « Vous pouvez le classer parmi les cinq légendes de l’alpinisme en activité », a-t-il dit. « Il a repoussé les limites humaines à un nouveau niveau. »