Catalogne: «Ici, on crée l'Europe des peuples et ça leur fait peur»
ESPAGNE•Après la déclaration d’indépendance, certains Catalans ont explosé de joie dans les rues de Barcelone…Antonin Vabre
L'essentiel
- Le Parlement catalan a voté vendredi après-midi la transformation de la région en un «Etat indépendant» soutenue à 70 voix contre 10.
- Mariano Rajoy a annoncé la destitution de Carles Puigdemont, la dissolution du Parlement catalan et la tenue d’élections anticipées dans la région le 21 décembre.
- Le Sénat a autorisé le gouvernement espagnol à recourir à l’article 155 de la Constitution, qui lui donne des pouvoirs étendus pour mettre la région sous tutelle.
De notre envoyé spécial à Barcelone,
Au moment du vote, le Parlement, situé Parc de la Ciutadela, était entouré d’une grande foule d’indépendantistes venus avec les drapeaux catalans, les yeux rivés sur les écrans géants installés. Le décompte s’effectue en direct, les gens s’enlacent, certains pleurent. Chaque « oui » prononcé est un soulagement. En l’absence des partis d’opposition qui ont refusé de participer au vote, la résolution d’indépendance a été soutenue à 70 voix contre 10 par les députés catalans.
« C’était comme une séance de tirs aux buts au foot, chaque oui était un but », métaphorise Josep. Réunis avec des collègues de travail, ils ont quitté la Promenade Picasso où étaient installés les écrans pour aller avec des dizaines de milliers de personnes à la Place Saint Jaume, siège du gouvernement catalan.
« Il y a peut-être des sales moments à venir, mais cette nuit, on va bien dormir »
Les pompiers prennent la tête d’une marche, dans la rue Princesa reliant les deux endroits, le cortège reprend des slogans à la gloire de la Catalogne. Les Mossos d’Esquadra, la police catalane, est applaudie. Montserrat, 68 ans, et Sandra sa fille sont aux anges. « Je l’attendais depuis ma naissance », s’emballe sa fille. « Je pense à ma mère, ajoute Montserrat, au ciel elle doit sauter dans tous les sens. » Pas même le gouvernement espagnol ne peut faire vaciller leur allégresse : « Il y a peut-être des sales moments à venir, mais cette nuit, on va bien dormir », reprend Sandra.
Plus loin, Perez, estellada (drapeau des indépendantistes à connotation plus partisane) autour de la tête, est bien plus tranchant : « D’où Madrid va nous donner des leçons de démocratie ? On a le parlement le plus ancien, eux, ce sont des descendants de Franco au pouvoir. »
Comme beaucoup à Barcelone, il regrette le manque de soutien de l’Europe. Sans s’en étonner. « L’Europe est une fédération d’empires. L’époque des empires, c’est fini. Ici, on crée l’Europe des peuples, et ça leur fait peur ! » Son compère, Francesco, avec sa barretina (le chapeau rouge traditionnel) ajoute que « Rajoy a peur parce que nous sommes non-violents, on ne fait pas de barricades. Et ça les affecte ce pacifisme. Mais attention, j’aime beaucoup les Espagnols, je les respecte mais je ne suis pas de leur pays. »
« Mes grands-parents, ils en ont rêvé toute leur vie. C’est le plus beau jour de ma vie »
Pacifisme, ce mot revient sur toutes les lèvres. Sur celles de Mercé, sa fille Ana et son gendre Marc également : « Nous devons défendre notre terre désormais », affirme leur aînée qui craint les représailles. Sa fille assure que Puigdemont sait ce qu’il fait : « Depuis le début je lui fais confiance. Même il y a deux semaines quand il a proclamé puis suspendu l’indépendance, je savais qu’il ne jetterait pas l’éponge. » Depuis plusieurs semaines, les nerfs travaillent. Mais ce soir, l’incertitude fait place à l’euphorie, qui déborde de la Place Saint Jaume où l’on retrouve Josep et ses collègues de travail.
Son ami Pau est allé chercher des bières. Avec Manel et les autres, ils trinquent « au nouveau pays ». Pau pense à « [ses] grands-parents, ils en ont rêvé toute leur vie. C’est le plus beau jour de ma vie. » À côté, Miriam reprend « moi c’est le deuxième après la naissance de ma fille, mais j’en ai la chair de poule ! » « Et ton mariage ? », s’amuse son collègue Albert. Beaucoup d’humour et de légèreté se dégagent de ce qui ressemblerait presque à un festival de musique avec une scène où chante un groupe en catalan.
« Comment je peux vivre dans un pays comme ça ? »
Même les représailles potentielles de Madrid n’apeurent pas Miriam : « Nous continuerons debout coûte que coûte, et surtout sans violence, dans le civisme. » Josep, lui, ne veut rien laisser passer au gouvernement catalan : « Les dirigeants se croient encore à la période de la dictature. Mon père a perdu un œil sous le franquisme, à cause d’une grenade, son dos est en sale état. Et tu sais que chaque semaine sur la tombe de Franco il y a de nouvelles fleurs ? Ça veut dire quoi ? Comment je peux vivre dans un pays comme ça ? » Son ami, Jordi, espérait « arriver à un accord avec Madrid, ne pas subir la répression et devoir en passer par une déclaration unilatérale d’indépendance ».
Une fois le vote enregistré au Parlement, le drapeau espagnol y a été retiré, un geste symbolique très fort. La masse réunie Place Saint Jaume, incapable de circuler tant elle est compacte, réclame qu’il en soit fait de même au Palais de la Généralité. Aux cris de « dehors le drapeau espagnol », Josep annonce, « s’ils l’enlèvent, je me fous à poil ! ».
L’hymne catalan, mais également des chants demandant la libération des « prisonniers politiques » Jordi Sanchez et Jordi Cuixart coupables de sédition, sont repris. Certains sont venus dans l’espoir de voir le drapeau espagnol tomber, d’autres attendent un discours de Carles Puigdemont. Dans un éclat de rire, Josep blague : « Il est parti se réfugier à Perpignan ! » Au vu des dernières déclarations de Mariano Rajoy, le président de la Catalogne risque 15 à 30 ans de prison. C’est certain, il aura besoin de tout l’appui des indépendantistes dans les semaines à venir.