Nucléaire iranien: 6 questions pour comprendre le bras de fer entre Washington et Téhéran
DIPLOMATIE•Donald Trump a refusé, vendredi dernier, de certifier les engagements de Téhéran sur le nucléaire et a renvoyé la balle dans le camp du Congrès. La France a appelé samedi ce dernier à ne pas tuer l’accord…T.C. avec AFP
L'essentiel
- Donald Trump a refusé, vendredi dernier, de certifier l’accord sur le nucléaire iranien, comme il doit le faire tous les 90 jours.
- Le Congrès a désormais le pouvoir de réactiver, sous 60 jours, les sanctions américaines suspendues dans le cadre de cet accord.
- La France a appelé samedi le Congrès américain à ne pas tuer l’accord sur le nucléaire iranien.
Le torchon brûle entre Washington et Téhéran. Le président américain a refusé, vendredi dernier, de « certifier » que l' Iran respecte ses obligations découlant de l’accord de 2015 concernant les activités nucléaires du pays. Donald Trump a également menacé d'« annuler » cet accord et a ordonné au Congrès américain de « combler les graves et nombreuses lacunes du texte » négocié sous son prédécesseur, Barack Obama, et conclu en juillet 2015. Samedi, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a appelé le Congrès américain à ne pas remettre « en cause » cet accord mais s’est dit prêt à avoir des discussions « musclées » avec Téhéran. 20 Minutes fait le point.
Pourquoi Donald Trump a-t-il des réserves sur cet accord ?
Le candidat républicain Donald Trump avait maintes fois promis durant sa campagne de « déchirer » le « pire » accord jamais paraphé par les Etats-Unis. Un texte, conclu par Barack Obama, que la majorité républicaine avait longtemps dénoncé, martelant qu’il devait être abrogé car les Etats-Unis ne pouvaient pas faire confiance aux Iraniens. Mais il ne l’a pas fait. Le président américain a estimé, le 23 septembre dernier, que cet accord était remis en cause après que l’Iran a testé un missile d’une portée de 2.000 kilomètres, et qui pourrait en théorie atteindre Israël, l’ennemi juré de l’Iran, et les bases américaines dans la région. Récemment, il avait estimé que les Iraniens n’avaient « pas respecté l’esprit de cet accord ».
aDe manière générale, les relations entre les Etats-Unis et l’Iran se sont fortement dégradées depuis la dernière élection présidentielle. Donald Trump a résolument orienté sa politique étrangère en direction de l’Arabie saoudite sunnite, grande rivale régionale de l’Iran chiite. Il a d’abord appelé, en mai dernier, tous les pays à « isoler » l’Iran, lors d’un discours prononcé à Ryad devant les représentants d’une cinquantaine de nations musulmanes. Il avait alors assuré que le pays « finance, arme et entraîne des terroristes, des milices et d’autres groupes terroristes qui répandent la destruction et le chaos à travers la région ». Quelques jours après, le Sénat américain avait voté une loi qui impose de nouvelles sanctions à l’Iran, notamment pour « soutien à des actes de terrorisme international ».
Le président américain a indiqué qu’il ne veut plus le certifier. Qu’est-ce que cela signifie ?
Une loi oblige le président américain à dire au Congrès, tous les 90 jours, si l’Iran respecte l’accord et si la levée des sanctions est bien dans l’intérêt national des Etats-Unis. Ce que Donald Trump a refusé de faire, vendredi dernier. Il l’avait jusqu’ici « certifié » à deux reprises, en avril et juillet dernier. Pour l’ancien secrétaire d’Etat, John Kerry, la décision de Donald Trump est « dangereuse » et « ouvre une crise internationale ». « Cela met en danger les intérêts de la sécurité nationale et de leurs plus proches alliés », a-t-il expliqué. De son côté, le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, a déclaré que « les propos de Trump sont en contradiction avec les articles 26, 28 et 29 de l' accord sur le nucléaire » iranien de 2015.
Le Congrès a désormais le pouvoir de réactiver, sous 60 jours, les sanctions américaines suspendues dans le cadre de l’accord international en échange des concessions nucléaires iraniennes. Si ces sanctions étaient ravivées, elles briseraient l’engagement américain et, probablement, feraient voler en éclats le texte international. Toutefois, ce n’est pas ce qu’a demandé Donald Trump au Congrès. D’autant que la majorité républicaine n’est pas prête à prendre la responsabilité de « tuer » unilatéralement un accord soutenu par les autres grandes puissances mondiales, et que sauf preuve du contraire l’Iran respecte. Le retour des sanctions à l’initiative du Congrès dans 60 jours semble donc improbable.
Le Congrès peut-il le sauver ?
Le Congrès américain va profiter de cette position d’arbitre pour tenter de durcir l’accord de 2015, sans le saborder brusquement. La solution, concoctée par deux sénateurs républicains en coordination étroite avec la Maison Blanche et le département d’Etat, consisterait à voter une loi créant un nouveau seuil pour le redéclenchement des sanctions contre l’Iran à l’avenir. Une sorte de mise à jour, unilatérale, du « JCPOA », comme l’accord est nommé aux Etats-Unis, selon son acronyme. Si Téhéran se retrouvait à moins d’un an de la production d’une bombe atomique, les Etats-Unis sanctionneraient le pays. Des critères sur le test de missiles intercontinentaux seraient également ajoutés.
Surtout, les élus entendent rendre permanentes les limites imposées sur le développement nucléaire iranien, des limites que l’accord de 2015 prévoit de graduellement lever à partir de 2025. Ce futur feu vert graduel donné à l’Iran est, pour les républicains, le défaut central de l’accord. Enfin, le président n’aurait plus à fournir de certification au Congrès tous les 90 jours mais tous les six mois, une fréquence potentiellement plus acceptable pour le dirigeant actuel. Reste à savoir si le Congrès sera capable de voter une telle réforme. Donald Trump a ainsi promis : « Au cas où nous ne serions pas capables de trouver une solution avec le Congrès et nos alliés, l’accord sera abrogé. »
Et si les USA quittaient cet accord, que se passerait-il ?
Le chef de l’organisation iranienne de l’énergie atomique a affirmé le 22 août dernier que le pays pourrait reprendre sa production d’uranium hautement enrichi si les Etats-Unis quittaient l’accord. « Si nous prenons la décision, nous pouvons commencer dans cinq jours un enrichissement de 20 % (dans la centrale nucléaire de) Fordo », a affirmé Ali Akbar Salehi à la télévision d’Etat Irib, soulignant que l’Iran ne voudrait « bien entendu pas que cela arrive ».
Qu’en pensent les autres signataires ?
Dans un communiqué diplomatique mais ferme, la Première ministre britannique Theresa May, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron ont souligné qu’ils restaient « engagés » dans l’accord, appelant à sa « pleine application par toutes les parties ». Samedi, la France a appelé le Congrès américain à ne pas tuer l’accord sur le nucléaire iranien, mais s’est dite prête à avoir des discussions « musclées » avec Téhéran sur les sujets qui provoquent l’ire de Washington. « Nous souhaitons vivement que le Congrès, qui a maintenant la responsabilité d’une éventuelle rupture, ne le remette pas en cause », a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, dans un entretien à l’AFP.
Pour sa part, le ministère russe des Affaires étrangères a dénoncé vendredi la stratégie du président américain à l’égard de l’Iran, la qualifiant de « rhétorique agressive et menaçante », et soulignant que l’accord avec Téhéran sur le nucléaire restait intact.
Au fait, il sert à quoi cet accord ?
L’objectif de cet accord, conclu en juillet 2015, est de garantir que le programme nucléaire iranien ne peut avoir de débouchés militaires en échange de la levée progressive des sanctions internationales qui étouffent l’économie du pays. Ce texte, qui autorise l’Iran à poursuivre son programme nucléaire civil, ouvre la voie à une normalisation des relations économiques et diplomatiques de l’Iran avec la communauté internationale. La levée de l’intégralité des sanctions doit être échelonnée sur dix ans, et durant quinze ans les mesures peuvent être automatiquement rétablies en cas de manquement de Téhéran.
Le pays a notamment accepté de réduire le nombre de ses centrifugeuses permettant d’enrichir l’uranium, et envoyé à l’étranger la quasi-totalité de son stock d’uranium faiblement enrichi, ce qui doit rendre quasi impossible la fabrication rapide d’une bombe atomique. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a aussi établi que l’Iran avait bien retiré le cœur de son réacteur à eau lourde d’Arak et bétonné une partie de l’installation, de façon à ne plus pouvoir y fabriquer de plutonium de qualité militaire.
L’Iran est soupçonné d’avoir mis en œuvre, jusqu’en 2003 et peut-être au-delà, un programme nucléaire militaire sous couvert d’activités civil, ce qu’il a toujours nié. L’AIEA avait indiqué avoir signé avec l’Iran une « feuille de route » autorisant une enquête sur la possible dimension militaire passée du programme nucléaire iranien.