DROIT DES FEMMESLes saoudiennes pourront-elles vraiment conduire en 2018?

Arabie Saoudite: Les femmes pourront-elles vraiment conduire en 2018?

DROIT DES FEMMESApartheid sexuel, mise sous tutelle masculine, etc. Malgré un décret autorisant bientôt les femmes à conduire, la société saoudienne ne semble pas encore prête à lâcher du leste…
Arabie Saoudite: Le décret autorisant les femmes à conduire est-il vraiment applicable ?
Emilie Petit

Emilie Petit

L'essentiel

  • Un décret autorise les Saoudiennes à conduire. Il devrait être mis en place en juin 2018.
  • Deux problèmes majeurs pourraient compliquer l’application effective de ce décret : l’apartheid sexuel et la mise sous tutelle masculine.

Depuis plus de cinquante ans, elles avaient pour interdiction de toucher un volant. Leur pays, l’Arabie Saoudite, était le seul au monde qui leur interdisait de conduire des voitures. À partir de juin 2018, un décret autorisera enfin les Saoudiennes à prendre la route. En théorie…

« On a tendance à croire que les Saoudiennes ont toujours été, culturellement, dans cette situation. Or, ça ne date que des années soixante ! », explique Annie Sugier, présidente dela Ligue du droit international des femmes. « Les Bédouines étaient beaucoup plus libres. Elles ne portaient pas cette abaya noire. Elles circulaient librement et avaient des contacts avec les hommes », raconte-t-elle. Mais ça, c’était avant. Avant l’instauration de l’apartheid sexuel. Avant l’interdiction de conduire pour les femmes. Avant, aussi, leur mise sous tutelle masculine.

Cinquante-sept ans plus tard, les Saoudiennes n’ont pourtant pas dit leur dernier mot. Après un premier vent de révolte en 2006, elles remettent ça en mai 2011, profitant du printemps arabe pour faire valoir leurs droits. A l’image de Manal Al Sharif qui décide, cette même année, de se filmer en train de conduire. Un acte militant qui lui vaut de passer neuf jours en prison.

Un décret simple, un application compliquée

Si, aujourd’hui, ce décret autorisant les femmes à conduire a été entériné, c’est, selon Annie Sugier, « grâce » à la crise : « L’Arabie saoudite a des problèmes économiques et a donc besoin d’un maximum de citoyens qui travaillent. Or seulement 20 % des femmes travaillent… Leur circulation est donc primordiale. »

Néanmoins, le socle sur lequel repose le fonctionnement de la société en Arabie Saoudite ne semble pas encore prêt à voir les femmes prendre le volant. « L’Arabie Saoudite fonctionne sur un système d’apartheid sexuel. L’application de ce décret risque donc d’être très compliqué à mettre en place car il va falloir des éducatrices pour former les femmes. Mais où sont-elles ? Pour l’instant, il n’y en a pas. Dans quels endroits ? Comment les policiers vont-ils interagir avec les femmes alors qu’ils n’ont le droit d’interagir qu’avec des femmes de leur famille ? C’est là toute la bureaucratie et la complexité qui se crée autour d’une volonté de séparation des sexes, totalement anormale ! Et faut-il encore que l’on ait la volonté de remettre en cause un système inique. »

Une « force régressive » qui s’ouvre au monde

Pour autant, la présidente de la Ligue du droit international des femmes reste mesurée. Et salue, malgré tout, cette réforme : « C’est un progrès car les femmes réclamaient ce droit à la conduite d’un véhicule. C’est d’ailleurs une revendication essentielle car l’Arabie Saoudite et Ryad sont des territoires très étendues. Et, pour l’heure, elles doivent, pour se rendre à leur travail, trouver soit un cousin ou un frère qui puisse les emmener, soit avoir assez d’argent pour prendre un taxi. »

Si le droit de conduire reste, malgré tout, une avancée, deux problèmes majeurs empêchent les Saoudiennes de prendre totalement leur envol : la mise sous tutelle masculine et l’apartheid sexuel. Et, pour l’heure, rien n’est gagné. Bien que l’Arabie Saoudite ait fait son entrée sur la scène internationale - à la tête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2015, puis à la Commission des droits des femmes en 2017 - elle reste « une force régressive » pour François Morvan, présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (Clef).

Selon les derniers chiffres du ministère de l’Education saoudien (2015), 49,05 % d’étudiants sont des femmes contre 50,95 % d’hommes. Les femmes étaient majoritaires dans les universités saoudiennes jusqu’en 2011. Une tendance qui s’est inversée ces dernières années…