Six mois de Trump au pouvoir: «Les sans-papiers vivent dans la peur»
INTERVIEW•Enrique Morones, fondateur de l’association Border Angels, fait le point sur la situation sur le terrain…Propos recueillis par Philippe Berry
Il a fait campagne en promettant de construire un mur à la frontière mexicaine et d’expulser 11 millions de clandestins – un chiffre depuis revu à la baisse. Six mois après son accession au pouvoir, Donald Trump n’a pas réussi à convaincre le Congrès de financer ses projets. Mais avec de nouvelles directives données à la police de l’immigration (ICE), les arrestations sont en hausse de près de 40 % sur un an.
Selon Enrique Morones, fondateur de Border Angels, une association californienne d’aide aux migrants, les « sans-papiers vivent dans la peur ». Mais la résistance s’organise au niveau local.
Les arrestations de personnes en situation irrégulière sont en hausse de 38 % sur un an. Quel est le sentiment sur le terrain ?
Donald Trump et le département à la Sécurité intérieure ont passé de nouvelles directives. Désormais, on assiste à des raids dans les communautés, avec des personnes alignées pour des contrôles au faciès sur leur lieu de travail, chez le coiffeur ou à la sortie du supermarché. Ils ne ciblent plus simplement les criminels. Les sans-papiers vivent dans la peur.
Les expulsions sont cependant en baisse de 12 %, est-ce paradoxal ?
Un criminel arrêté à la frontière peut être expulsé rapidement. Le processus administratif prend beaucoup plus de temps pour quelqu’un sans casier judiciaire. Il faudra plus de recul pour analyser les chiffres, le temps que le système Trump monte en puissance.
L’immigration illégale à la frontière mexicaine a fortement baissé depuis que Trump est au pouvoir. Sa politique a-t-elle un effet dissuasif ? Est-ce un succès pour lui ?
Il tente de s’en attribuer le mérite mais la tendance est à la baisse depuis les années 2000, avec un chiffre divisé par quatre.
Il y a beaucoup moins de Mexicains car la situation économique s’est améliorée de l’autre côté de la frontière. Mais il y a une hausse chez les migrants d’Amérique centrale (Guatemala, Honduras, El Salvador) qui fuient les violences.
Son élection a-t-elle eu un impact sur le travail de votre association au quotidien ?
On fait la même chose : on place des bidons d’eau dans le désert pour éviter que les migrants ne meurent de soif, et on fait du conseil juridique. Ce qui a changé est l’échelle : on a dix fois plus de volontaires, environ 400 contre 30 ou 40 sous Obama, et une trentaine d’avocats bénévoles. L’élection de Trump a été un électrochoc civique pour la communauté latino.
Réussira-t-il à construire le mur ?
Sans doute pas. Le Mexique ne va pas en payer un centime, contrairement à ce qu’il a dit. Il n’a pas l’argent au Congrès. Il y a déjà une palissade ou des barrières naturelles sur un tiers de la frontière. Quand vous construisez un mur, les migrants construisent une échelle. Même la police des frontières préférerait avoir plus d’agents qu’un mur. Et le temps presse pour Trump : je suis convaincu que les démocrates vont reprendre le Congrès en 2018 et tenter de le destituer à cause de la Russie. Même si ce n’est pas le cas, la résistance s’organise au niveau des villes et des Etats sanctuaires comme la Californie, avec des élus et des autorités qui refusent d’appliquer aveuglément les consignes du gouvernement. Trump n’a pas un pouvoir absolu.