Livrer ses parents âgés aux tigres pour toucher une indemnité, la nouvelle tragédie de l'Inde pauvre
PAUVRETÉ•Dans le Nord de l’Inde, le Bureau de contrôle de la vie sauvage a découvert que certaines familles rurales pauvres livraient leurs parents âgés aux tigres afin de toucher une indemnité…Marie Lombard
De ce que la pauvreté engendre. Dans le nord de l’Inde, près de la réserve naturelle du Pilibhit qui accueille notamment des tigres, pas moins de sept attaques de félins ont été recensées depuis février dernier. Les victimes étant dans leur majorité des seniors, le Bureau de contrôle des crimes de la vie sauvage (WCCB) a mené une enquête. Conclusion : des familles pauvres livrent leurs doyens aux tigres en pleine forêt pour toucher l’indemnité promise par le gouvernement en cas d’attaque d’un membre de la famille par un félin protégé dans une réserve naturelle.
Des cadavres déplacés hors de la forêt
Selon le Times of India, les autorités ont ainsi découvert qu’une femme âgée tuée par un tigre, dont le corps avait été trouvé dans un champ le 1er juillet dernier, avait en réalité été attaquée par l’animal à 1,5 km de là, en pleine forêt.
Des vêtements laissés parmi les arbres et les traces d’un tracteur entre la forêt et le champ ont révélé que ses restes avaient été déplacés afin de prouver l’attaque et de recevoir une indemnité. A la suite de l’enquête, la direction de la réserve a rejeté la plainte de la famille pour dommages-intérêts.
Un « désintérêt croissant de l’Etat pour le secteur agricole »
Et il y a pire : les premiers rapports des interrogatoires menés par le WCCB semblent indiquer que les personnes âgées elles-mêmes consentent à ces sacrifices, pour leur famille. « Comme ils ne peuvent tirer aucune ressource de la forêt, c’est le seul moyen pour leur famille d’échapper à la pauvreté », raconte Jarnail Singh, un fermier de 60 ans, à Times of India. Le WCCB a décidé d’en référer à l’Autorité nationale de conservation des tigres afin de poursuivre l’enquête.
Dans un pays qui compte plus de 363 millions de pauvres, soit 29,5 % de la population selon une enquête de la Reserve Bank of India, ces sacrifices familiaux apparaissent comme le nouveau symptôme d’une population rurale en souffrance. La misère est d’autant plus ressentie dans le nord-est du pays, où se trouve justement la réserve de Pilibhit.
Selon le rapport «La pauvreté en Inde - une bombe à retardement » du chercheur Christophe Jaffrelot, cette situation s’explique « par le désintérêt croissant de l’Etat pour le secteur agricole et la baisse des prix agricoles depuis 1991 ». Ainsi, le taux de croissance du produit agricole est passé de 3.5 % dans les années 1990 à 2 % dans les années 2000-2010. Une situation que n’arrange pas la segmentation des terres qui va de pair avec la succession masculine et réduit encore un peu plus les territoires cultivables par habitant.