Corée du Nord: «Ce tir de missile permet au régime de garantir son existence»
INTERVIEW•L’historienne Juliette Morillot analyse les enjeux du nouveau de tir de missile balistique opéré ce mardi par la Corée du Nord…Propos recueillis par Anissa Boumediene
La Corée du Nord a affirmé ce mardi avoir testé avec succès un missile intercontinental, ce qui serait une avancée majeure dans ses efforts pour être en mesure de menacer les Etats-Unis du feu nucléaire. La Télévision centrale coréenne a indiqué que le projectile tiré ce mardi avait atteint une altitude de 2.802 km et volé sur une distance de 933 km.
Un essai dont le calendrier ne doit rien au hasard, puisqu’il intervient le jour de la fête de l’indépendance américaine, célébrée chaque 4 juillet outre-Atlantique. « Ce type n’a-t-il rien de mieux à faire de sa vie ? », a écrit un Donald Trump furieux sur Twitter au sujet du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un.
aLe président américain a demandé à Pékin, principal soutien international de Pyongyang, de « mettre fin à cette absurdité une bonne fois pour toutes ». Pour Juliette Morillot, historienne spécialiste de la Corée du Nord et coauteure de La Corée du Nord en 100 questions (éd. Tallandier), ce tir nord-coréen « permet à Pyongyang de garantir son existence ».
Si la Corée du Nord dispose effectivement de missiles intercontinentaux, quel degré de menace cela représente-t-il ?
Si c’est avéré, c’est une nouvelle de grande importance : on parle de tirs capables de toucher l’Alaska. Il ne s’agit certes pas du cœur des Etats-Unis, mais symboliquement, le sol américain peut être atteint par Pyongyang. Et un tel tir, réalisé le jour de la fête de l’indépendance américaine, c’est très fort. C’est un message clair envoyé aux Etats-Unis.
Certains experts estiment que ce tir est raté et doutent de la capacité de Pyongyang à miniaturiser une tête nucléaire pour la monter sur un missile, ainsi que de sa maîtrise de la technologie de rentrée dans l’atmosphère. Mais ce qu’il faut y voir, c’est avant tout les progrès technologiques très réguliers accomplis par la Corée du Nord dans son programme nucléaire. Contrairement à son père, Kim Jong-un a mis en place une nouvelle politique dans le cadre de laquelle les ingénieurs nord-coréens sont encouragés à multiplier les essais nucléaires pour apprendre. Et on observe que depuis ce tournant fin 2011, cette nouvelle gestion du programme balistique de Pyongyang est efficace.
Faut-il y voir de la pure provocation de la part de Pyongyang ?
Il y a une part évidente de provocation, mais dans le même temps, la Corée du Nord se sent menacée par les Américains, et de fait, elle l’est. En atteste il y a quelques semaines l’annonce par Trump de l’envoi d’un porte-avions américain dans la zone. Kim Jong-un craint que Donald Trump, qui a 28.000 soldats américains postés sur le sol sud-coréen, ne décide d’envoyer ses troupes envahir la Corée du Nord. D’ailleurs, entre Donald Trump et Kim Jong-un, c’est bien Donald Trump qui est le plus imprévisible des deux. Les tensions ont d’ailleurs atteint un pic en début d’année lorsque Donald Trump s’est dit prêt à régler seul, et si besoin par la force, la question nord-coréenne.
La Corée du Nord, elle, reste sur sa position, inébranlable. Tandis que Trump a tout tenté avec la Chine, intermédiaire dans le dossier et alliée de Pyongyang, sans succès.
Que peut-il se passer désormais ?
Entre la « patience stratégique » de Barack Obama et les gesticulations de Donald Trump, on voit bien que les Américains ne parviennent pas à trouver le moyen de gérer le dossier nord-coréen.
Plusieurs scénarios sont à craindre : soit Trump réagit de manière intempestive, soit un dérapage – américain ou coréen — met le feu aux poudres. Ce sont des possibilités qu’il faut envisager. Mais si les Américains se lançaient dans la voie de frappes ciblées, les conséquences pourraient être cataclysmiques ! D’autant que la capitale sud-coréenne, Séoul, est très proche de la frontière avec la Corée du Nord et Kim Jong-un pourrait décider de frapper son voisin du Sud en représailles.
Comment éviter cela et tenter de mettre un terme à ce conflit ?
Il y a une multiplication des essais nucléaires nord-coréens depuis 2006, malgré l’interdiction par l’ONU de ses programmes nucléaire et balistique. Mais il ne fait absolument aucun doute que les sanctions décidées par l’ONU ne servent strictement à rien. Ce n’est pas non plus par la voie de la Chine qu’une solution sera trouvée : Pékin n’acceptera jamais des troupes étrangères à ses portes, c’est pourquoi elle n’est pas près de laisser tomber son allié nord-coréen. D’autant que la Chine ne souhaite pas que les deux Corées soient réunifiées.
Il y a toute une somme d’intérêts particuliers et contradictoires qui sont en jeu dans la balance : la Russie suit le dossier de près, tout comme la Chine, et les Etats-Unis ont besoin d’être présents dans la région.
Mais dans le même temps, la Corée du Sud, via son nouveau président Moon Jae-in, est pour sa part plus dans l’apaisement : elle souhaite ramener la Corée du Nord au dialogue, et cherche à relancer la diplomatie entre les deux Corées par différents biais, souhaitant même associer Pyongyang à l’organisation des JO d’hiver qui doivent se dérouler en Corée du Sud en 2018. Et surtout, il a gelé le déploiement du bouclier antimissile THAAD sur son sol, auquel les Américains sont pourtant si attachés.
Quelles sont les attentes véritables de Kim Jong-un ?
La Corée du Nord se sent menacée et aujourd’hui, Kim Jong-un a l’impression d’être comme David contre Goliath. Aux yeux des Nord-Coréens, le programme balistique est légitime et justifié dans le sens où, en tant que petit pays cerné de grandes puissances, il représente leur assurance-vie. Pour eux, seule l’arme nucléaire garantit leur existence. C’est également, selon eux, ce qui leur permet de montrer qu’ils sont capables de se défendre et de tenir la dragée haute à des puissances comme les Etats-Unis.
Ce que veut vraiment Kim Jong-un aujourd’hui, c’est signer un traité de paix sur la péninsule, obtenir un pacte de non-agression des Etats-Unis et la reconnaissance du régime nord-coréen par les Américains.