CONFLITInsurrection aux Philippines: «Daesh donne un soutien logistique»

Insurrection islamiste aux Philippines: «Le rattachement à Daesh leur donne une image de guerrier religieux»

CONFLITDes combattants se réclamant de Daesh sont depuis plus d’une semaine retranchés dans des quartiers de la ville de Marawi aux Philippines…
Le président Rodrigo Duterte a déclaré la loi martiale dans toute la région de Mindanao, où vivent 20 millions de personnes.
Le président Rodrigo Duterte a déclaré la loi martiale dans toute la région de Mindanao, où vivent 20 millions de personnes. - CHINE NOUVELLE/SIPA
Propos recueillis par Dorian Debals

Propos recueillis par Dorian Debals

L'essentiel

  • La ville de Marawi aux Philippines est en proie à de violents heurts causés par des islamistes se revendiquant de Daesh
  • Un corridor humanitaire va permettre d’évacuer les civils de cettte ville de 200.000 habitants
  • Explications du conflit avec une spécialiste de la région

Ce jeudi le président philippin Rodrigo Duterte a passé un accord avec le groupe rebelle Maute afin de créer un corridor humanitaire permettant l’évacuation des civils. Depuis une semaine, des combattants islamistes se réclamant de Daesh ont pris la ville de Marawi dans le sud du pays. Les combats ont déjà fait près de 100 morts. Rodrigo Duterte avait déclaré la loi martiale sur toute l’île à majorité muslmane (alors que le pays compte près de 80 % de catholiques) le 23 mai dernier et lancé une opération militaire massive sans grand succès.

Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste des évolutions politiques et géopolitiques en Asie du Sud-Est explique pour 20 Minutes les dessous du conflit.

Le corridor humanitaire de 73 kilomètres mis en place pour évacuer les habitants de Marawi.
Le corridor humanitaire de 73 kilomètres mis en place pour évacuer les habitants de Marawi. - CNN Philippines

Comment expliquer cette situation d’insurrection à Marawi ?

Elle n’est pas nouvelle et précisément Marawi était connue pour son « extrémisme » musulman au point que le curé local avait retiré la croix extérieure de l’église pour apaiser une situation extrêmement tendue. A Mindanao, la grande île où vivent 80 % des Philippins musulmans (ils représentent 8 % de la population totale soit environ 8 millions d’habitants), Marawi faisait figure de ville radicale où le dialogue devenait de plus en plus difficile. Ce n’est pas par hasard que cette ville a été « choisie » par les rebelles islamistes pour lancer une nouvelle offensive.

Quel est le rôle joué par Daesh sur place ?

Daesh, comme Al-Qaïda avant lui, a repéré ces groupes musulmans prêts à tout en Asie du Sud-Est (Indonésie, Malaisie, Philippines, sud de la Thaïlande). Les plus motivés sont partis vers la Syrie et les contacts sont à présent bien établis et organisés. Sans aucun doute, Daesh donne à ces groupes un soutien logistique, voire tactique. Mais surtout, il leur apporte un écho qu’ils n’espéraient pas. Ce n’est ainsi pas par hasard que ce soit le groupe Abu Sayaf qui ait été choisi aux Philippines comme relai parmi tous les groupes musulmans. Il s’agit d’un clan d’une quarantaine de familles, qui fonctionne en réseaux fermés et qui s’est spécialisé depuis une quinzaine d’années dans des actes de brigandage, de piraterie et d’enlèvement. Leur rattachement à Daesh leur donne une image de guerrier religieux qui redore le blason et légitimise leurs exactions. Leur participation à la création d’un corridor humanitaire leur sert aussi à montrer qu’ils ne sont pas des soldats sanguinaires et que la discussion est ouverte : la négociation politique peut commencer et ce sont eux qui fixent l’agenda.

Quelle importance politique a pour le président Duterte le règlement de ce conflit ?

Elle est réelle pour montrer qu’il veut rétablir la paix et une prétendue « réconciliation nationale » sur un dossier qui envenime les relations entre la capitale Manille et le sud musulman depuis plus de 50 ans. Rodrigo Duterte connaît bien la situation à Mindanao puisqu’il a été maire de la ville de Davao pendant 22 ans. Lui aussi a dû régler des questions liées à des tensions religieuses et il l’a fait sur le mode incisif. Pourrait-il reproduire les mêmes méthodes ? Aujourd’hui, son statut de président fait que ses actions, et potentielles exactions, sont scrutées par la communauté internationale. Un mauvais traitement des musulmans et le monde entier réagit. Sa gestion du dossier sera donc particulièrement intéressante à suivre dans les jours qui viennent.