DIPLOMATIE«On n'attaque pas Pyongyang comme on attaque la Syrie»

Tension avec la Corée du Nord: «On n'attaque pas Pyongyang comme on attaque la Syrie»

DIPLOMATIECes derniers jours, les dirigeants américains et nord-coréens sont allés très loin dans les menaces. Pour Juliette Morillot, historienne spécialiste de la Corée, ce n’est pas encore fini et les Etats-Unis ont beaucoup à perdre sur ce dossier…
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

«La Corée du Nord ferait mieux de ne pas mettre notre détermination à l’épreuve », déclare-t-on côté américain, quand le régime de Kim Jong-un, lui, assure qu’il répondra « à une guerre totale par une guerre totale »… Les tensions entre les deux pays ont rarement été aussi fortes depuis que Donald Trump dirige la Maison Blanche et que Pyongyang s’est adonné à de nouveaux tirs de missiles.

Après des années de menaces, faut-il craindre cette fois-ci un véritable conflit entre les deux pays ? Juliette Morillot, historienne et experte de la péninsule coréenne, co-auteur de La Corée du Nord en 100 questions [éditions Tallendier], répond à nos questions.

Où en est la Corée du Nord dans son programme nucléaire ?

Depuis 2006, la Corée du Nord a procédé à cinq essais nucléaires. Donc de facto, elle est devenue une puissance nucléaire. Elle prépare actuellement un sixième essai. Voilà pour le côté nucléaire. En parallèle, le pays a fait beaucoup de progrès sous Kim Jong-un sur la technologie balistique. Il possède des missiles à courte portée, moyenne portée, longue portée. Le pays en a fait l’étalage lors de la parade militaire géante de samedi, à l’occasion du 105e anniversaire du premier dirigeant nord-coréen. On ne sait pas très bien en revanche s’ils ont mis au point des missiles intercontinentaux capables de toucher la côte ouest des Etats-Unis. Pyongyang a ces missiles, mais le régime ne les maîtrise vraisemblablement pas tout à fait.

Ce n’est qu’une question de temps ?

La Corée du Nord y travaille en tout cas. Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un [décembre 2011], le pays met l’accent sur deux choses : l’économie d’un côté - et elle s’est redressée depuis 2011 -, et la puissance nucléaire et balistique de l’autre. Mais savoir si Kim Jong-un est capable de frapper la côte ouest américaine est presque secondaire. La Corée du Nord est d’ores et déjà une menace nucléaire pour les Etats-Unis. Elle est capable aujourd’hui d’atteindre plusieurs cibles américaines dans la région. Notamment les bases d’Okinawa, au Japon, et de Guam, dans le Pacifique. Il ne faut pas non plus oublier que 30.000 militaires américains sont basés en Corée du Sud. Un soldat américain sur trois basés à l’étranger l’est dans cette partie du monde.

Peut-on s’attaquer à la Corée du Nord comme on s’attaque à l’Afghanistan ou à la Syrie comme le laissent penser les déclarations ce lundi du vice-président américain Mike Pence ?

Non et je pense que les conseillers militaires de Donald Trump ont suffisamment d’expérience pour le savoir. Attaquer la Corée du Nord, c’est attaquer une puissance nucléaire qui a répété maintes fois qu’elle n’hésiterait pas à rétorquer. Pyongyang considère l’arme nucléaire comme son assurance-vie. Sans elle, le régime serait rayé de la carte du monde depuis longtemps. Lancer les hostilités contre la Corée du Nord ne serait pas non plus sans conséquence pour des pays alliés des Etats-Unis. A une cinquantaine de kilomètres de la frontière entre les deux Corée, il y a ainsi Séoul [capitale de la Corée du Sud], 24 millions d’habitants. La Corée du Sud et le Japon incitent ainsi aujourd’hui fortement les Etats-Unis à ne pas intervenir.

La politique de la « patience stratégique » de Barack Obama a-t-elle mieux marché ?

Non, elle n’a pas porté ses fruits. C’était même une catastrophe. Elle consistait à dire à la Corée du Nord « d’abord vous dénucléarisez, ensuite nous discutons » et, à chaque essai nucléaire de la Corée, Barack Obama annonçait alors un renforcement des sanctions. Mais la Corée du Nord sait faire le dos rond et a l’habitude des sanctions. Le pays mise sur l’autarcie et sait jouer des failles dans les relations internationales pour survivre.

Que faudrait-il faire alors face à la Corée du Nord ?

Il faut déjà se demander ce que veut la Corée du Nord. Elle veut trois choses : un traité de paix sur la péninsule coréenne, sa reconnaissance diplomatique, et un dialogue bilatéral direct avec Washington. Beaucoup ont aujourd’hui conscience qu’il faut renouer le dialogue avec Pyongyang. Les principaux candidats aux élections présidentielles sud-coréennes [le pays est actuellement sans président depuis la destitution de Park Geun-hye pour corruption] poussent dans ce sens. La Chine aussi de plus en plus.

Peut-on envisager la guerre entre la Corée du Nord et les Etats-Unis ?

La Corée du Nord n’attaquera pas la première. Mais le plus imprévisible des deux dirigeants n’est pas Kim Jong-un aujourd’hui, mais bien Donald Trump. Encore une fois, je pense que le président américain est entouré de conseillers qui le dissuaderont d’attaquer. La période de tous les dangers sera toutefois le 25 avril. Ce jour marquera le 85e anniversaire de la fondation de l’armée de la Corée du Nord, qui donnera lieu à de nouvelles célébrations à Pyongyang. Il coïncidera aussi avec l’arrivée de l’armada américaine annoncée par Donald Trump* dans la région.

*Le porte-avions Carl Vinson, escorté par trois navires lance-missiles et des sous-marins…