VIDEO. Dans le bureau du juge Hamad, on prépare l’Irak de demain
REPORTAGE•Au camp Khazer, ce juge a son baraquement où il reçoit les déplacés de Mossoul ayant fui Daesh et la guerre. Il enregistre leurs plaintes comme il les aide à obtenir des certificats de naissance ou de mariage valides. Une première étape vers une nouvelle vie…Fabrice Pouliquen
De notre envoyé spécial à Khazer (Irak),
Le juge Hamad* ne manque pas de travail au camp Khazer. L’homme reçoit sans chichi dans un baraquement posé à l’entrée du camp dans la région autonome du Kurdistan irakien, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Mossoul.
« S’il rejoignait Daesh, je reprenais ma fille »
Ne vous fiez pas trop aux apparences. Le juge Hamad ne parle pas d’un bureau, mais d’une véritable cour de justice, spécialement créée pour les gens qui vivent ici. Soient des milliers de réfugiés, venus de Mossoul-est et fuyant Daesh et/ou les combats lancés le 17 octobre dernier par l’armée irakienne pour libérer leur ville.
La grande majorité des déplacés ont vécu sous le joug de l’organisation Etat Islamique, parfois depuis juin 2014, date de la prise de Mossoul par les djihadistes. Trois ans qui laissent des traumatismes et un désir fort de justice. Voilà pourquoi les déplacés toquent à la porte du juge Hamad.
Le cas de Mouhamad* est presque classique. Ce père de famille se bat pour que sa fille puisse divorcer d’un mari violent et qui a fini par rejoindre les forces de Daesh. « Je lui avais assuré que s’il rejoignait l’Etat islamique, je reprendrais ma fille, raconte-t-il. Nos relations étaient exécrables. Puisque je m’opposais à lui, il se plaignait régulièrement auprès des instances de Daesh racontant que j’aidais l’armée kurde rivale. »
« Si un jour nous les arrêtons… »
Mouhamad finira par fuir Mossoul-est… Avec sa fille dans les valises. A Khazer depuis le 11 novembre, il se décrit comme un homme désespéré. « Daesh a tué deux de mes frères et fait exploser ma maison », raconte-t-il. Pas sûr que sa rencontre avec le juge Hamad ne lui apporte un quelconque réconfort. « Le divorce ne peut être validé tant qu’il n’a pas été signifié au mari », explique son avocat, membre de l’ONG suédoise Qandil qui aide les déplacés à entreprendre leurs démarches judiciaires et administratives. Autrement dit, le mari ou son avocat doivent être présents à l’audience », poursuit-il. Mais encore faut-il les trouver.
Tant pis si les affaires n’aboutissent pas toujours, le juge Hamad les enregistre toutes et lance les procédures. « Un jour, si nous arrêtons les présumés coupables, nous pourrons enquêter », assure-t-il.
Refaire les certificats de naissance et de mariage
Ce n’est pas la seule mission du juge. Le plus souvent, les déplacés viennent le voir pour des préoccupations plus terre à terre. De l’administratif pur : « Obtenir un certificat de naissance ou de mariage, explique le juge Hamad. C’est la majorité des cas que j’ai à traiter. »
Car en trois ans sous Daesh, forcément, des déplacés se sont mariés, d’autres encore ont eu des enfants. Alors que l’organisation Etat islamique perd du terrain dans le nord du pays, ces heureux événements se transforment en casse-tête administratifs. « Le gouvernement irakien ne reconnaît aucun papier administratif portant le tampon de Daesh », résume Hamad.
Il ne suffit pas d’un nouveau coup de tampon du juge pour se mettre en règle. « La procédure peut être longue et complexe, explique l’avocat de Qandil. Elle nécessite déjà deux témoins pour certifier le mariage ou certifier la filiation entre l’enfant et ses parents. Il faut aussi les papiers d’identités de chacun. Or, les déplacés doivent les laisser au checkpoint lorsqu’ils arrivent au Kurdistan. Puisqu’ils ne peuvent sortir librement du camp, Qandil se charge de retrouver ces papiers d’identité et d’en faire des copies. »
Le risque d’avoir des milliers d’enfants apatrides
L’enjeu est de taille. Avec la chute pressentie de Daesh dans le nord du pays[il détient toujours Mossoul-ouest], l’Irak pourrait se retrouver avec une flopée d’enfants apatrides sur les bras. Difficile d’en connaître le nombre. En novembre 2016, l’agence Reuters évoquait des centaines, voire des milliers d’enfants de moins de deux ans et demi, nés en territoire occupé par Daesh et aujourd’hui dépourvus de nationalité. Le risque pour eux ? « Un accès plus difficile encore à des droits fondamentaux comme l’éducation, la santé, mais aussi une exposition plus forte aux abus et trafics », pointe l’ONU.
*Tous les prénoms ont été changés