Trump président des Etats-Unis: «Le pays est divisé par des fractures sociales et économiques»
INTERVIEW•« 20 Minutes » a interrogé Romain Huret, directeur d’études à l’EHESS, au sujet des résultats de l’élection présidentielle américaine…Propos recueillis par Laure Cometti
Le choc des titans. Deux candidats que tout oppose s’affrontaient aux Etats-Unis à . Pendant des mois de campagne, les partisans de et de se sont livrés une bataille sans merci. Au lendemain de la victoire du candidat républicain, que nous apprend ce scrutin sur les divisions du pays ? 20 Minutes a interrogé Romain Huret, directeur d’études à l’EHESS.
A première vue, que nous apprend ce scrutin ? Quelles sont les plus grosses surprises ?
Il y a une dynamique favorable au parti républicain, au Sénat, à la Chambre des Représentants. Avec la victoire de Trump au niveau des grands électeurs, il y a une convergence des votes. Côté démocrate, Clinton a échoué à conquérir le vote blanc ouvrier et elle a perdu dans certains Swing States qu’Obama avait gagnés en 2012. La plus grande surprise, c’est la netteté de la victoire de Trump en matière de grands électeurs.
Le vote latino a créé la surprise : on pensait qu’il bénéficierait largement à Clinton, finalement près d’un tiers des électeurs Hispaniques a voté Trump. On avait aussi surestimé le gender gap (le facteur du genre) : finalement, les femmes ne se sont pas massivement détournées de Trump. Les facteurs du genre et de l’appartenance ethnique n’ont pas tant joué, ce qui a joué, c’est la promesse de Trump d’un pays plus prospère, plus sûr.
Peut-on y voir la cause de la défaite de Clinton ?
Il y a le facteur personnel : on lui a reproché sa froideur, et puis le couple Clinton est perçu comme trop riche, trop « bruyant », une image qu’il a depuis les années 1990. Il y a aussi le facteur de genre : les Américains préfèrent Clinton quand elle perd, ils l’aiment moins quand elle veut devenir présidente. Mais surtout, elle a commis une erreur stratégique en abandonnant la question des inégalités. Ce sujet était dans son premier discours, au début des primaires démocrates, puis elle l’a délaissé. Son programme manquait de propositions fortes, il était surtout sur la défensive.
Le résultat du vote est-il à l’image d’un pays divisé ?
Les Etats-Unis sont davantage divisés par des fractures sociales et économiques, que par des fractures ethniques. Environ 43 millions d’Américains vivent de coupons alimentaires. Une partie du pays n’a plus accès au diplôme, aux études universitaires, au travail, à la propriété. C’est pourquoi l’Amérique blanche et rurale a largement voté Trump. Il y a beaucoup d’attentes de la part de cet électorat en colère.
Peut-on parler d’une rupture dans l’histoire politique du pays ?
Quand Ronald Reagan a été élu, on entendait les mêmes inquiétudes. Cet acteur de mauvaise série B serait-il capable de gouverner ? Aujourd’hui il est considéré comme l’un des plus grands présidents du pays. Il faut être raisonnable, la démocratie américaine va fonctionner comme elle a toujours fonctionné, même dans cette situation exceptionnelle.
Même si Donald Trump est rejeté par les élites conservatrices, il s’inscrit dans cette dynamique. Il est le produit de cette parole libérée depuis des années, qui critique le système, les médias, les corps intermédiaires. Ce qui le différencie vraiment des conservateurs, c’est sa volonté de rompre avec la doctrine du libre-échange et de mettre en place une politique très protectionniste. C’est sur ce point qu’il y a peut-être le plus d’attentes de son électorat. Peut-on faire de la politique autrement ? Peut-on faire de la politique tout court ? L’Etat peut-il agir ?