Prison de Guantanamo: «Trouver un pays d'accueil pour les anciens détenus est le problème majeur»
INTERVIEW•Les Etats-Unis ont transféré lundi quinze détenus du camp de Guantanamo aux Emirats arabes unis...Propos recueillis par Laure Cometti
Peu à peu, Barack Obama va-t-il parvenir à fermer le camp de Guantanamo, comme il s’y était engagé en 2008 ? Le Pentagone a annoncé lundi que quinze détenus ont été remis aux Emirats arabes unis. C’est le transfert le plus important depuis ce camp militaire controversé, ouvert après les attentats du 11 septembre 2001, où 780 prisonniers ont transité. L’ONG Amnesty International, qui milite pour la fermeture du camp, a salué cette décision. Il reste désormais 61 prisonniers à Guantanamo. Seuls 12 d’entre eux font l’objet de poursuites, les autres ont été déclarés par les Etats-Unis « potentiellement libérales » selon Yves Prigent, responsable du programme responsabilité des Etats et des entreprises à Amnesty International France. Mais selon lui, leur libération pourrait prendre du temps.
Si Guantanamo n’est pas fermé d’ici la fin du mandat de Barack Obama, son sort sera entre les mains de son successeur. En cas de victoire d’Hillary Clinton, la candidate démocrate, la plateforme du parti prévoit de poursuivre les transferts de prisonniers. En revanche, Donald Trump est bien moins favorable à la fermeture du camp.
Fermer Guantanamo était une promesse de campagne de Barack Obama. Pourquoi cette tâche s’avère-t-elle si longue ?
Même si elle le souhaitait, l’administration Obama ne pourrait probablement pas transférer les détenus de Guantanamo sur le sol américain à cause de l’opposition du Congrès. Il faut donc leur trouver un pays d’accueil, et c’est là le problème majeur.
Les prisonniers yéménites, qui représentent la majorité des détenus, ne peuvent être pris en charge au Yémen : les Etats-Unis estiment que le contexte de guerre civile [depuis 2015] ne le permet pas. D’autres cas posent problème, comme celui des prisonniers ouïgours [une minorité turcophone de confession musulmane originaire du Xinjiang dans le nord-ouest de la Chine] qui risquent la peine de mort en Chine. Il faut donc trouver un pays tiers qui accepte d’accueillir les ex-prisonniers. Or personne ne veut accepter sur son sol d’anciens détenus de Guantanamo, quand bien même ils n’ont pas fait l’objet de poursuites.
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Comment les accords de transfert vers un pays tiers sont-ils conclus ? Y a-t-il des contreparties ?
Il y a des contreparties pour les pays tiers, notamment financières. Cela peut être le déblocage d’aides au développement. Il y a également un gain diplomatique.
Quelles sont les conditions d’accueil et d’accompagnement, voire de contrôle, pour les anciens détenus de Guantanamo ?
Les quinze hommes libérés et transférés aux Emirats arabes unis ont passé quinze ans en détention. A Abu Dhabi, le contexte d’accueil peut a priori être positif, il y a des organismes de réinsertion, d’accompagnement, comme en Arabie Saoudite. Pour douze d’entre eux qui sont yéménites, l’environnement linguistique est plutôt proche.
Dans le cas des détenus ouïgours, dont certains ont été transférés en Albanie ou en Océanie [à Palau ; d’autres ont été envoyés en Slovaquie, dans les Bermudes, en Suisse ou au Salvador], c’est plus compliqué. D’autant que quelques années après leur transfert, les aides sociales dont ils dépendaient en Albanie ont été supprimées après des coupes budgétaires, alors qu’ils ne peuvent pas travailler.
Concernant un éventuel contrôle des anciens détenus, qui n’ont pas été condamnés et sont donc innocents, cela dépend des accords noués par les Etats-Unis avec le pays d’accueil. Certains ex-prisonniers font l’objet de restriction de mouvement. Mais la situation peut évoluer avec le temps. C’est assez paradoxal et exagéré de la part des Etats-Unis de se décharger de la responsabilité d’accueil des détenus de Guantanamo, tout en demandant au pays tiers d’assurer un suivi des anciens prisonniers.