Brexit: En Ecosse, le référendum s'accompagne d'arrière-pensées indépendantistes
REPORTAGE•Selon les sondages, les Ecossais sont majoritairement opposés à une sortie de leur pays de l'Union européenne, contrairement aux Anglais...Laure Cometti
De notre envoyée spéciale à Glasgow (Ecosse),
Un référendum peut-il en cacher un autre ? L’Ecosse, historiquement proeuropéenne, pourrait voter majoritairement pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne (UE) lors du scrutin de jeudi. Mais si le camp du Brexit l’emportait, la flamme indépendantiste pourrait y être ravivée.
Une campagne peu passionnée
A trois jours du référendum sur le Brexit, rien ou presque n’indique qu’un scrutin crucial doit avoir lieu jeudi, hormis quelques (très) rares affiches et une petite poignée de militants qui tractent d’arrache-pied ce lundi matin. « Les Ecossais ne sont pas très passionnés par la campagne, certains jugent même que le débat sur le Brexit est très anglais », remarque Jess, une Anglaise de 22 ans qui coordonne la campagne Scotland Stronger in Europe (« L’Ecosse plus forte dans l’Europe ») anti-Brexit.
« La question de l’indépendance écossaise passionne davantage ici », souligne la jeune militante proche du Labour, le parti travailliste. Avec Patrick, un Irlandais de 28 ans, et Kirsty, une Ecossaise de 25 ans, Jess compte distribuer des tracts jusqu’au jour J, surtout pour convaincre les indécis. « L’Ecosse peut être un acteur clé de ce référendum », souligne avec gravité Patrick. D’après les derniers sondages, ses 5,3 millions d’habitants (sur un total de 64 millions de Britanniques) ne seraient qu’à 35 % en faveur d’une sortie de l’UE, une tendance nettement inférieure aux intentions de vote à l’échelle de l’ensemble du pays.
Flamme indépendantiste
Le débat est toutefois corsé par la flamme indépendantiste écossaise qui croît depuis quelques années. Le parti indépendantiste SNP, pro-européen, fait campagne en faveur du Remain (« rester » dans l’UE). Pour auant, sa direction n’a pas voulu s’associer au mouvement Britain Stronger in Europe, pour ne pas avoir à faire front commun avec le Premier ministre conservateur David Cameron. Du côté de Scotland Stronger in Europe, les militants revendiquent leur différence. « Nous essayons de mener une campagne anti-Brexit positive. Nous n’expliquons pas aux gens ce qu’ils perdraient en quittant l’UE, mais plutôt ce qu’ils ont déjà gagné grâce à elle », indique Jess.
Sur le terrain, les indépendantistes sont partagés. « Si le Leave [« quitter » l’UE] l’emporte, nous aurons un gouvernement conservateur encore plus à droite, encore plus libéral, qui mettrait en place encore plus de mesures d’austérité pour nous en Ecosse », craint Brian, ingénieur à la retraite. Sympathisant du SNP, il était jusqu’ici indécis, mais l’assassinat de la députée Jo Cox l’a finalement décidé à voter Remain (un phénomène que les médias britanniques ont baptisé « The Jo effect », ou « l’effet Jo »).
A l’instar de Brian, une partie des indépendantistes écossais voit Bruxelles comme un éventuel « tampon » permettant d’amortir la politique de David Cameron, jugée trop libérale et pas assez sociale. « L’Europe sociale, on ne la fera pas en quittant l’Union, en fermant notre pays au monde », estimait Alyn Smith, membre du SNP et député européen interrogé par L’Humanité.
Une partie des indépendantistes fait un autre pari, misant sur le Brexit pour relancer le débat sur l’indépendance de l’Ecosse. Nicola Sturgeon, Premier ministre écossaise, a sous-entendu que si le Brexit avait lieu malgré une majorité pro-européenne en Ecosse, elle pourrait décider d’organiser un nouveau référendum sur l’indépendance.
Dans les rues de Glasgow, Jess reconnaît qu’une défiance historique vis-à-vis de Londres pousse certains Ecossais europhiles à voter Leave. C’est le cas de George, 57 ans. « Le Brexit ne serait pas bon pour l’Ecosse, mais s’il avait lieu, ce serait l’occasion prendre notre indépendance », lance ce sympathisant du SNP planté au milieu de la très animée Jamaica Street. Après avoir perdu son emploi il y a deux ans, il a dû accepter un petit boulot d’homme-sandwich.
A l’inverse, un Brexit pourrait faire basculer une frange des Ecossais du côté des indépendantistes. « J’ai voté contre l’indépendance lors du référendum de 2014 [comme 55 % des électeurs écossais], mais si le Royaume-Uni quitte l’UE, je devrai complètement revoir ma position », songe Ewen, 24 ans, employé du secteur bancaire.
Associé à la question de l’indépendance écossaise, le débat sur le Brexit devient un cocktail explosif et imprévisible qui laisse nombre d’électeurs perplexes. Le journal écossais The Scotsman a préféré en rire ce lundi, soulignant l’absurdité de la situation à grand renfort d’antithèses. « La dernière fois, “oui” signifiait partir et “non” rester. Et maintenant, “non” signifie partir et “oui” rester. Et cela pourrait signifier que “oui” voudra à nouveau dire partir et “non” voudra dire rester ».