Au port du Pirée, ONG et citoyens grecs se substituent à l'Etat, débordé par la crise des réfugiés
GRECE•Depuis une semaine, près de 3 000 réfugiés attendent dans les terminaux du port, dans l’espoir de voir rouvrir la frontière macédonienne…Hélène Sergent
De notre envoyée spéciale en Grèce
Derrière le terminal E1 situé au nord-ouest du port tentaculaire du Pirée, les sacs de vêtements s’amoncellent. Ce dimanche, la file de Grecs venus déposer de la nourriture ou des produits d'hygiène ne tarit pas. Parmi les bénévoles présents ce matin-là, Mikael, jeune père originaire d’Athènes, détaille : « Les citoyens sont très actifs, mais on manque d’une coordination à grande échelle. Nous, on se charge de stocker les dons, puis de les répartir dans les quatre terminaux qui abritent les réfugiés. » En dehors de la présence, discrète, de quelques policiers et gardes-côtes, l’Etat semble absent de ce centre d’hébergement improvisé et à ciel ouvert.
Car depuisla fermeture de la frontière macédonienne située à quelques kilomètres de Thessalonique, qui a contraint les réfugiés venus de Lesbos, Chios ou Kos à patienter, la crise humanitaire s’est accentuée. Malgré l’ouverture d’une dizaine de camps d’hébergement d’urgence gérés par l’Etat, les 3.000 à 5.000 Syriens, Irakiens, Afghans ou Yéménites qui arrivent chaque jour aux portes de l’Europe peinent à être pris en charge. Depuis le début de l’année 2016, 141.787 personnes sont arrivées en Grèce.
« Filotimo »
Le long des docks, des tentes sont alignées. A l’intérieur, des familles avec enfants s’entassent à 4-5, voire 6 personnes. Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, 62 % des réfugiés qui arrivent en Grèce sont des femmes et des enfants. Pour Maria, architecte de 55 ans venue apporter quelques sacs de nourriture, Bruxelles et l’Etat fuient leurs responsabilités : « C’est bien de faire des hotspots, mais faut-il encore qu’ils fonctionnent ! On ressent une grande inquiétude et on a le sentiment que Syriza [le parti au pouvoir] ne fait rien… » Si tous déplorent une gestion désorganisée, la vie au Pirée est rythmée par l’action des ONG et des associations locales.
Parmi les dix terminaux qui bordent le port, quatre accueillent les réfugiés. Chaque matin, un petit déjeuner est distribué à heures fixes, mais les centres les plus saturés rendent la distribution plus longue et plus pénible. Quatre ONG à vocation médicale assurent la permanence au niveau du terminal E2 : la Croix-Rouge, Médecins sans frontières, Médecins du monde et « Le sourire de l’enfant ». Mais pour Stamatis, gynécologue bénévole membre de cette dernière association, le travail fourni par les citoyens grecs est considérable : « En Grèce, la notion de Filotimo («Φιλότιμο ») est centrale. C’est difficile de traduire, mais cela signifie un sens du sacrifice, de la dignité, de la générosité. C’est ce que l’on retrouve ici.»
Maria et Mikael dressent le même constat. « Les Grecs ont toujours été réfugiés. Mes grands-parents viennent d’Asie mineure », lance l’architecte, « les gens qui donnent ici ont tous les âges et viennent de tous les milieux. On ne parle de politique mais ce que l’Union Européenne laisse faire est tout simplement inacceptable », complète le jeune papa.
« Une gratitude immense »
La situation déplorable du camp d’Idomeni, à la frontière macédonienne et la présence de nombreux bénévoles au Pirée, ont poussé certains réfugiés à revenir à Athènes. C’est le cas d’Alan Moussa, un jeune syrien originaire d’Alep, arrivé en Grèce il y a trois semaines : « Nous avons attendu 14 jours à Idomeni mais la situation est terrible là-bas. J’ai une petite fille d’un an, nous ne pouvions pas rester à la frontière ». L’oncle de ce professeur de mathématiques vit en Allemagne depuis vingt-cinq ans. Pour autant, peu importe sa destination finale : « La France, le Portugal ou même la Grèce, je me fiche du pays qui acceptera de m’accueillir. Tout ce que je veux, c’est de pouvoir vivre en paix ».
Monsieur Nattouf, médecin ophtalmologiste originaire de la banlieue de Damas est arrivé à Chios le 9 mars dernier. Profondément heurté par le conflit qui ravage son pays et qui a causé la mort de son meilleur ami, ce Syrien âgé de 30 ans, confie sa « gratitude immense à l’égard des bénévoles » mais ne cache pas sa colère à l’encontre de l’Union Européenne : « Je comprends que les pays de l’UE souhaitent protéger leurs frontières et leurs économies. Mais rien ne peut justifier de laisser mourir des enfants. On a le sentiment que le monde joue à la roulette russe avec la vie des gens ».
Une « partie de roulette russe » qui devrait se poursuivre. Mardi, le Président du Conseil Européen, Donald Tusk, doit se rendre à Chypre pour finaliser « les détails » de l’accord à venir avec la Turquie, afin de stopper l’afflux des réfugiés vers l’Europe.
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