Comment est née la rumeur d’un sniper anti-Daesh en Libye
CONFLITS•Une rumeur faisant état d’un sniper ayant abattu trois chefs libyens de Daesh a été très largement relayée sur la Toile ces dernières semaines, « 20 Minutes » a tenté de remonter la piste de cette légende…Laure Cometti
L’histoire tourne depuis plusieurs semaines sur Internet. En l’espace de dix jours, un sniper aurait tué trois chefs locaux de l’organisation Etat islamique (EI) en Libye. Ces informations sont très difficiles à vérifier mais cela n’a pas empêché la rumeur de se propager très largement, d’abord sur les réseaux sociaux et des sites locaux, avant d’être reprise dans la presse internationale. 20 Minutes a essayé de retracer l’émergence de cette légende de guerre.
Trois assassinats en janvier
Un tweet posté le 26 janvier 2016 par Daniele Raineri a vraisemblablement accéléré cet emballement médiatique. En se basant sur ses sources locales, ce journaliste du quotidien italien Il Foglio a cartographié les sites des assassinats présumés de trois cadres locaux de Daesh à Syrte.
Hamad Abdel Hady, Abou Mohammed Dernawi et Abdullah Hamad Al-Ansari auraient été tués respectivement les 13, 19 et 23 janvier selon un même modus operandi : une balle tirée d’une longue distance.
Un procédé qui n’est pas si exceptionnel dans le pays. Daniele Raineri rappelle d’ailleurs que le prédicateur de Daesh Hussein al-Karami avait aussi été tué à Syrte par un (voire plusieurs) sniper non identifié début juillet 2015, selon Al-Wasat.
Il n’en fallait pas plus pour que naisse la rumeur sur un « chasseur de Daesh », relayée sur les réseaux sociaux puis sur plusieurs sites d’information locale. Les médias anglo-saxons se sont ensuite emparés de l’histoire fin janvier, avant que la presse européenne ne leur emboîte le pas en février, sans avancer de faits concrets, parlant même de «légende urbaine»
Une ville presque coupée du monde
De l’aveu même de Daniele Raineri, il est extrêmement difficile d’obtenir des informations de première main sur la situation à Syrte, devenue le bastion de l’organisation terroriste islamiste. Depuis juin 2015, les combattants de Daesh contrôlent entièrement cette ville du littoral méditerranéen, ancien fief du colonel Kadhafi.
Il est « quasiment impossible d’avoir une source durable dans cette ville extrêmement fermée », confirme le journaliste franco-tunisien Seif Eddine Trabelsi. Ses contacts lui ont également relayé l’histoire du sniper solitaire, « mais impossible de savoir si c’est vrai, s’il agit seul ou s’ils sont plusieurs ».
« Abattre des hommes de l’EI dans une ville aussi petite et contrôlée que Syrte relève du virtuose militaire ou du danger mortel », observe Daniele Raineri. Sur la Toile, les discussions vont bon train au sujet de l’identité du sniper. Pour le tabloïd anglais Daily Star, il serait un ancien tireur d’élite britannique des commandos du SAS (Special Air Service).
Interrogé par 20 Minutes, le correspondant du Guardian à Tunis Chris Stephen souligne que la rumeur a pu être alimentée par les récentes déclarations du Pentagone au sujet de la présence en Libye de membres des forces spéciales américaines. Interrogé sur l'enthousiasme suscité par cette rumeur en Libye, un observateur local note pour sa part que, vu la situation difficile sur le terrain, « la population locale a besoin d'un héros mythique ».
Le mythe du héros de la résistance
Cette histoire de sniper solitaire rappelle une autre légende de guerre, celle de Rehana, « l’ange de Kobané » L’histoire de cette jeune combattante kurde, qui aurait fait une centaine de victimes dans les rangs de Daesh, n’a jamais été confirmée. Mais cela ne l’a pas empêchée de connaître le succès sur la Toile.
Il existe à ce jour plus de 600.000 pages en anglais concernant la rumeur du sniper de Syrte et répertoriées dans le moteur de recherche Google. « Face à l’avancée de Daesh en Libye, ce genre d’histoire entre en résonance », observe Saïd Haddad, spécialiste de la Libye et chercheur associé à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman. La figure d’un héros de la résistance libyenne emporte un succès d’autant plus important que face à l’EI « les factions libyennes sont divisées ».