Burundi : Derrière le «politicide», le spectre de la «guerre civile»
AFRIQUE•Le pays, en conflit depuis plus de six mois, inquiète la communauté internationale...Nicolas Beunaiche
Le Burundi est-il en train de basculer vers l’horreur ? Dimanche, au lendemain de l’expiration de l’ultimatum lancé par le Président Nkurunziza aux contestataires qui veulent son départ depuis plus de six mois, le président rwandais, Paul Kagame, n’a pas hésité à accuser son homologue burundais de « massacrer » sa population « du matin au soir ». Une accusation très grave qui marque une nouvelle escalade dans la terminologie. Guerre civile, coup d’Etat, génocide… Qu’est-il vraiment en train de se passer au Burundi ? Alors que le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit ce lundi pour faire un point sur la situation, 20 Minutes tente de mettre des mots sur les maux de ce pays d’Afrique centrale.
Vers un nouveau génocide ?
S’il n’emploie pas ce mot, Paul Kagame évoque tout de même clairement un génocide. Pour lui, la situation rappelle ainsi « un peu celle qui a prévalu » au Rwanda, en 1994, lors du génocide qui avait fait 800.000 morts, essentiellement parmi la minorité tutsie. Des accusations graves, mais excessives, selon les experts. « Nous sommes plus dans un scénario de politicide, que d’un possible génocide, il s’agit d’écraser l’adversaire politique », explique par exemple à l’AFP Christian Thibon, professeur à l’Université de Pau et spécialiste de l’Afrique centrale. Interrogé par 20 Minutes, Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale pour l’International Crisis Group, balaie lui aussi le terme de « génocide » pour parler de « conflit » et de « répression ». « Les propos de Kagame sont dus aux tensions entre les deux régimes ; il n’aime tout simplement pas son voisin », tranche-t-il. « Il est important de signaler que le discours ethnique, porté par certains membres du pouvoir, ne mord pas dans l’opinion publique », poursuit Christian Thibon. Il faudrait des « circonstances exceptionnelles » pour que le scénario « s’ethnicise ».
Vers une nouvelle tentative de Coup d’Etat ?
Le 13 mai, l’ancien chef du service de renseignements et ex-chef d’état-major de l’armée, le général Godefroid Niyombare, avait annoncé la destitution Nkurunziza, en déplacement en Tanzanie. Mais deux jours plus tard, la tentative de putsch avait échoué, certains meneurs se rendant, d’autres fuyant. Depuis, la contestation n’a pourtant pas cessé. Avec l’expiration de l’ultimatum, faut-il s’attendre à une nouvelle tentative de putsch ? Pour Thierry Vircoulon, c’est « possible ». Mais d’où peut-elle venir ? Christian Thibon rappelle que l’opposition est composée essentiellement de « jeunes en armes, anciens manifestants opposés au troisième mandat de Nkurunziza », qui « restent à ce stade encore relativement désorganisés ». Attaqués par l’armée depuis dimanche à Bujumbura, la capitale, « ils ne pourront sans doute pas résister à une armée aguerrie », selon lui. Ils pourraient cependant être renforcés par des « groupes armés composés de réfugiés burundais venus du Rwanda », indique Thierry Vircoulon. Le régime peut aussi craindre le Rwanda, « considéré comme proche de l’opposition », et même l’armée, où des défections et des arrestations ont déjà eu lieu, ajoute-t-il.
Vers une nouvelle guerre civile ?
« Le Burundi est en train de glisser vers la guerre civile », assure Thierry Vircoulon. Une situation qu’a déjà connue le pays. L’opération de pacification de deux ou trois quartiers de Bujumbura, foyers de contestation au Président Nkurunziza, présente d’ailleurs des similitudes avec celles du quartier hutu de Kamenge en 1994 par l’armée, explique Christian Thibon, qui se rappelle « un épisode particulièrement violent et fondateur de la rébellion hutu de l’époque lors de la guerre civile ». Que la répression soit couronnée de succès ou non, le spectre de la guerre civile ne serait pas éloigné, selon lui. « Toute politique de répression massive est une victoire de courte durée. La répression à Kamenge en 1994 n’avait fait que renforcer la rébellion à l’époque. »