Turquie: Pourquoi l'attentat d'Ankara pourrait avoir des répercussions régionales
TERRORISME•L’attentat meurtrier survient trois semaines avant des élections législatives décisives pour la stabilité politique de ce pays stratégiquement situé entre la Syrie et l'Europe...Laure Cometti
Une marche pour la paix qui dégénère en bain de sang. À trois semaines d’élections législatives cruciales, la Turquie a été frappée samedi par l’attentat le plus meurtrier de son histoire, à Ankara, où une double explosion a fait au moins 95 morts lors d’une manifestation de jeunes militants kurdes. Une attaque qui peut avoir des conséquences au-delà des frontières turques, le pays étant au carrefour de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Asie.
Des élections sous haute tension
Cet attentat survient dans un climat de fortes tensions. Fin juillet dernier, le gouvernement truc a lancé une « guerre contre le terrorisme », qui a en réalité surtout visé les rebelles kurdes. « La violence s’est intensifiée et s’est disséminée au-delà des zones kurdes du sud-est du pays », souligne Jean Marcou, chercheur à Sciences Po Grenoble.
Avec le double attentat survenu samedi à Ankara, le pays est « passé à un nouveau stade de violence, c’est l’attentat le plus grave jamais commis en Turquie ». De quoi accentuer l’instabilité à trois semaines d’élections législatives anticipées prévues le 1er novembre prochain.
Crise des migrants et conflit syrien
Lors des élections législatives du 7 juin 2015, l’AKP, le parti au pouvoir, a pour la première fois perdu la majorité absolue au Parlement, notamment à cause du score du principal parti prokurde, le HDP (qui a franchi le seuil des 10 % nécessaires pour siéger à l’Assemblée). Les tentatives de former un gouvernement de coalition ayant échoué, le Premier ministre Ahmet Davutoglu dirige un gouvernement provisoire. Cette situation est d’autant plus problématique que « la Turquie a plusieurs dossiers chauds, dont celui de la crise syrienne qui a des conséquences directes sur l’afflux de réfugiés en Turquie et en Europe », souligne Jean Marcou.
« Les 2 millions de réfugiés qui se trouvent en Turquie sont un moyen de pression pour Ankara face à l’Union européenne », renchérit Samim Akgönül, enseignant chercheur à l’université de Strasbourg. Et « l’Europe a besoin de la Turquie pour sécuriser ses propres frontières, face aux départs de combattants européens qui rejoignent les rangs de Daesh en Syrie en franchissant la frontière turque ».
Le président Erdogan de plus en plus critiqué
Les élections du 1er novembre permettront-elles de sortir de cette impasse politique ? « Pour l’heure, les sondages, s’ils doivent être analysés avec prudence, montrent que la même configuration pourrait se reproduire », avance Jean Marcou. Selon ces estimations, l’AKP resterait en tête des intentions de vote avec un peu moins de 40 %, devant les kémalistes du CHP, les nationalistes du MHP et le HDP, qui poursuivrait sa percée en dépassant à nouveau la barre des 10 %.
« Rien n’est encore joué, le 1er novembre est loin », avance prudemment l’historien et politologue Samim Akgönül. « Si le camp kurde poursuite sa politique d’apaisement, l’AKP pourrait perdre des voix », estime-t-il. Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), bras armé des séparatistes kurdes, a décrété samedi un cessez-le-feu. En revanche, « si la spirale des violences se poursuit, une union nationaliste pourrait se former autour du parti au pouvoir ».
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Le gouvernement est toutefois sous le feu des critiques depuis samedi, le dispositif de sécurité de la manifestation étant jugé insuffisant. Le président Recep Tayyip Erdogan est aussi tenu pour responsable de l’échec des négociations avec les séparatistes kurdes entamées en 2012, unilatéralement rompues en juillet dernier.