TERRORISMEAttentat de Bangkok: Pourquoi la piste des Ouïgours est-elle évoquée?

La Thaïlande se remet doucement de l’attentat sans précédent qui a frappé le cœur de sa capitale mardi, faisant une vingtaine de morts, essentiellement des touristes chinois. Bangkok ne parvient pas à comprendre les motivations qui ont pu animer les terroristes, dont le mode d’action ne correspond à aucune précédente attaque dont le pays dirigé par une junte militaire a été victime. L’absence de revendication rajoute à la confusion. De nombreuses hypothèses sont avancées par les autorités thaïlandaises ; l’une d’elles met en cause les extrémistes ouïgours.

Cette minorité turcophone et musulmane de Chine a récemment été au centre d’un imbroglio diplomatique entre Turcs, Chinois et Thaïlandais. Quatre cents d’entre eux, arrêtés il y a deux ans en situation illégale en Thaïlande alors qu’ils fuyaient la répression dans leur pays d’origine, ont été renvoyés en Chine début juillet alors que la Turquie voulait les accueillir.

L’obscur parti islamique du Turkestan

Les nationalistes ouïgours auraient donc décidé de se venger en tuant des Chinois au hasard ? « Ce sont des pacifistes, un peu comme les Tibétains, tempère Rémi Castets maître de conférence à l’université Bordeaux Montaigne, docteur en Sciences politiques rattaché au Ceri et spécialiste de la question ouïgoure. Mais il existe bien une minorité, quelques dizaines tout au plus, qui ne rechigne pas à commettre des actes terroristes… » Et pour cause : ce « parti islamique du Turkestan » est clairement affilié à Al-Qaida. Créé il y a vingt ans, il a déjà effectué plusieurs attentats en Chine et au Pakistan, et certains sont allés grossir les rangs de l’organisation de l’Etat islamique.

Le chercheur reste très prudent quant à cette hypothèse. D’autant que les autorités chinoises n’hésitent pas à instrumentaliser ce danger islamiste pour justifier l’ostracisme dont sont victimes tous les Ouïgours. Quoiqu’il en soit, le profil du suspect, décrit par les autorités thaïlandaises à l’aide d’un terme qui sert à désigner les musulmans au teint clair originaires d’Asie du Sud, d’Asie centrale ou du Moyen-Orient, collerait.

Un peuple colonisé

Les 10 millions de Ouïgours habitent essentiellement le Xinjiang, une immense province chinoise (qui s’étend sur plus de trois fois la France) conquise par l’empire au XIIIe siècle. Ils subissent depuis trois cents ans une répression très dure, autant politique que religieuse et culturelle. Ils se sont soulevés à de nombreuses reprises. Après une relative accalmie dans les années 1980, la répression a repris à partir des années 1990.

Le problème pour les Ouïgours, c’est que la Chine tient énormément à cette région, dont le sous-sol est très riche : pétrole, gaz naturel, charbon, uranium, mais aussi un grand nombre de gisements de minerais comme de l’or, de l’argent, du cuivre, du zinc… Le Xinjiang est aussi au carrefour des routes des hydrocarbures de l’Asie centrale. Au final, la région affiche une croissance insolente, supérieure à la moyenne chinoise. Une richesse et une prospérité que l’ethnie majoritaire du pays, les Hans, se garde bien de partager avec les Ouïgours.

« Maintenant qu'ils ont littéralement colonisé la région, ils dominent la vie économique et les centre du pouvoir politique, faisant des Ouïgours des citoyens de seconde zone, explique Rémi Castets. Ce n’est donc pas étonnant que les jeunes diplômés cherchent à émigrer. Ils veulent rejoindre la Turquie ou l’Occident. » L’émigration est loin d’être massive, mais la Chine ne l’entend pas de cette manière. Elle a déjà conclu des accords avec les pays d’Asie centrale pour bloquer les frontières. Depuis moins de 10 ans, les Ouïgours passent donc par le sud du pays pour rejoindre la Malaisie, pays à majorité musulmane. Et sur la route, ils transitent souvent par la Thaïlande.

Les faits concernant l'explosion