Référendum sur l'UE : «Le Britannique lambda est moins eurosceptique qu’on le dit»
INTERVIEW•Le premier ministre britannique vient de déposer au parlement son projet de référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne (UE)…Propos recueillis par Coline Clavaud-Mégevand
David Cameron entame ce jeudi une tournée auprès de ses partenaires européens afin de négocier une réforme du fonctionnement de l’UE. Il a dans le même temps déposé au parlement britannique le projet de loi visant à organiser un référendum sur l’appartenance britannique à l’UE.
Pour Philippe Marlière*, politologue et professeur de sciences politiques à l’University College de Londres, le premier ministre britannique se comporte ici en stratège qui avance pas à pas…
La position de David Cameron sur le maintien du Royaume Unis dans l’UE est-elle claire aujourd’hui ?
Non. Il appartient à une nouvelle génération de leaders européens pragmatiques – ceux qui n’ont pas connu la guerre contrairement à François Mitterrand ou Helmut Kohl, qui ne sont pas dans l’idéologie comme l’était Margareth Thatcher… S’il s’inscrit dans une tradition, c’est celle des conservateurs européens : attachés au libre-échange, opposés à trop de régulation de la part de l’UE. Il a d’ailleurs affirmé que si l’Europe ne faisait pas assez de concessions, il ferait campagne pour la sortie. C’est évidemment un moyen de jouer le rapport de force avec les états membres, mais aussi un signe qu’il n’a pas encore tranché sur cette question.
Les conservateurs sont majoritaires au parlement. David Cameron a-t-il les coudées franches sur la question du Brexit ?
Non, car il ne possède qu’une courte majorité. De plus, il fait face à la pression d’un tiers d’eurosceptiques virulents dans son propre camp, dont certains souhaitent même une sortie de l’UE. Il doit aussi prendre en compte la percée du parti d’extrême droite antieuropéen UKIP, qui ne s’est pas traduite en nombre de sièges au parlement mais qui influence les débats. Si Cameron ne peut plus reculer, il avance très prudemment.
Il se dit qu’il pourrait avancer la date du référendum…
Les analyses varient. Personnellement, je ne pense pas qu’il aura lieu dès 2016 : c’est une organisation lourde, il faut mener campagne… Si le référendum se tiendra bien dans le créneau annoncé des deux ans, il est trop tôt pour dire quand.
Que va-t-il se passer d’ici là ?
Cameron va chercher à négocier avec les représentants des états membres, sauf que le Royaume-Uni est déjà très indépendant vis-à-vis de l’Europe : il n’est pas dans la zone Euro, fixe ses taux d’intérêt… Difficile d’exiger grand-chose de plus. Il n’y aura pas de réécriture des traités – l’Allemagne et la France y sont absolument opposées – et de façon générale, Cameron sait qu’il n’obtiendra rien de juteux. Il va donc demander des concessions de l’ordre du symbole, par exemple sur la question des quotas de migrants auxquels il est opposé. Il lui faudra ensuite réussir à montrer à son parti et aux électeurs que ce qu’il a obtenu est réellement important.
Le peuple Britannique peut-il dire non à l’UE ?
Il existe une différence entre les élites et le peuple. Les élites veulent plus de souveraineté pour le gouvernement, le libre-échange, pas de contrainte – même si les chefs d’entreprise, pragmatiques, souhaitent plutôt le maintien dans l’Europe. Le Britannique lambda, lui, est moins eurosceptique qu’on le dit. Sa vision est moins politisée, moins passionnée que celle du Français, il est attaché aux pays d’Europe où il voyage, s’installe parfois… Pour l’instant, les chiffres disent que même si c’est d’une courte majorité, le maintien dans l’UE l’emporterait.
*Philippe Marlière est notamment coauteur de « La gauche ne doit pas mourir ! Le manifeste des socialistes affligés » (Éditions Les Liens qui Libèrent, 2014).